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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 mai 1848

9 mai [1848], mardi, 7 h. du matin

Bonjour, mon Victor adoré, bonjour, je t’aime. Je baise tes doux yeux et je leur défends de regarder les Vésuviennes [1] et autres personnes du SEXE. Mon cher petit homme, vous savez que plus je vais et plus je suis jalouse, plus je suis jalouse, et plus je suis féroce, plus je suis féroce et plus je tuerai. Ainsi prenez garde à vous pour peu que vous teniez à votre vie d’une façon ou d’une autre. Taisez-vous. J’ai été réveillée ce matin par les coliques, cela promet pour le reste de la journée. Décidément je commence à trouver que cette bête d’indisposition se prolonge un peu longtemps. Cela me serait égal si j’étais en rase campagne, c’est-à-dire dans un bois très épais. Mais quand il faut se promener avec cela à travers Paris, ça n’est pas très drôle et c’est beaucoup trop CHER. Demain je dois voir le médecin, je verrai ce qu’il me dira à ce sujet mais je veux qu’il me cadenasse au moins pour quelque temps. Je sais bien que le vrai remède serait une bonne petite culotte de printemps dans quelque bon petit coin avec un bon petit Toto pour AMPHITRYON. Mais je sais bien que je ne dois pas y compter. Aussi je me résigne à demander à la médecine ce [que] l’amour ne veut pas me donner, triste ressource.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 173-174
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette


9 mai [1848], mardi, midi ¾

Je vais te voir tout à l’heure, mon bien-aimé, et puis j’irai te chercher tantôt. Cette pensée me donne de la joie et me donne du courage que les coliques m’ont un peu ôté depuis ce matin que je me tords dans les tranchées. Une seule chose m’inquiète, c’est le trajet. Je crains les accidents ridicules que cela peut amener et je suis presque tentée de rester chez moi. Cependant je tiens plus que je ne peux dire à profiter des rares occasions de bonheur que tu peuxa me donner et je crois que malgré le danger de ma position j’irai au-devant de toi. Il faudra que tu me dises au juste quel jour tu iras à Petit-Bourg [2] pour que je puisse prévenir Mme Guérard. J’aurais mieux aimé moins de Cacheux et plus de Toto. J’aurais préféré aller avec vous n’importe où et n’importe comment que de ripailler avec ces deux honnêtes bourgeois dont une bourgeoise. Vous le croyez sans peine. Mais il est dit que le bonheur d’être avec vous en plein air, en plein soleil, en pleine liberté et en pleine culotte pendant tout un bon et grand jour ne m’arrivera plus jamais. Je le sais mais je ne peux pas m’y résigner. Au contraire plus je vais et plus je sens que l’amour et tout [ses  ?] ACCESSOIRES m’est plus nécessaire que jamais. Cette conviction n’est pas faite pour m’égayerb mais ne m’empêchera jamais de t’adorer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 175-176
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « tu peu ».
b) « m’égaier ».

Notes

[1Femmes parisiennes qui ont pris les armes lors de la Révolution de 1848. Elles revendiquent une Constitution politique pour les femmes, l’accès à tous les emplois publics, civils, religieux et militaires. Ultra-radicales elles desservent toutefois la cause féministe en réclamant des réformes fantaisistes comme l’obligation du mariage à 21 ans, la mise en place du service militaire obligatoire féminin, et le doublement du service militaire pour les hommes qui refuseraient les tâches ménagères.

[2La « Société de Petit-Bourg » est une œuvre philanthropique en faveur des enfants pauvres et des jeunes délinquants. Victor Hugo en devient le président le 28 mai 1848.

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