5 novembre 1878

Guernesey, 5 novembre [18]78, mardi matin, 7 h.

J’espère, mon grand bien-aimé que ta nuit a été aussi bonne que la mienne a été tourmentée et douloureuse. Plus le moment approche de retourner à Paris et d’y reprendre la vie qu’on y mène, plus je me sens épouvantée^a et découragée à la pensée des chagrins qui m’y attendent. Au nom de tout ce que tu as de plus cher et de plus sacré sur la terre et au ciel je te supplie de m’épargner cette dernière épreuve si tu n’es pas absolument sûr d’être entièrement et uniquement à moi corps, cœur et âme, comme je le suis moi-même pour toi [1]. Jamais, jamais, jamais je ne consentirai à te partager avec une autre pour si peu que ce soit et pour quelque prétexte que ce soit, je comprends à force de [illis.] que tu m’en préfères une autre mais je ne comprends pas la promiscuité des âmes ni la trahison de quelque sophisme [immo]ral dont on la pare et quelque habileté qu’on y mette. Encore une fois, mon grand bien-aimé, il en est temps encore, ne me laisse pas aller à Paris si c’est pour y retrouver le même malheur et le même désespoir que ceux que j’y ai laissés. Épargne-toi le remords de me tromper, laisse-moi attendre la mort tranquillement loin de toi. Ça ne sera pas bien long au train que prend ma santé, et au lieu de te maudire je te bénirai d’avoir le courage de respecter mon amour qui est de l’adoration.

Monsieur
Victor Hugo
Hauteville House

MV-MVH, Villequier, 1973.5.1(16)
Transcription de Marie-Jean Mazurier
[Massin]

a) « épouvanté ».