25 août [1847], mercredi après-midi
Je suis bien en retard envers toi aujourd’hui, mon Toto, et pourtant mon cœur et ma pensée sont toujours en avance sur mes triquemaques de ménage. Aujourd’hui j’ai eu Duval de très bonne heure qui a fauché le gazon et fait planter par son aide beaucoup de fleurs dans mon jardin. Force m’a été de m’en occuper ; ensuite ma blanchisseuse puis Joséphine pour le renouvellement. Bref me voici arrivée presque à l’heure où tu peux venir sans avoir pu m’acquitter du doux devoir de te dire tout ce que j’ai d’amour dans le cœur pour toi. Ce n’est pas que cela ne te soit parfaitement égal, vieux Chinois, mais pour moi ce n’est pas la même chose et je sens très bien que le besoin le plus important de ma vie n’est pas satisfait tant que je ne t’ai pas gribouillé quelques tendresses. Qu’est-ce qui a été attrapéa cette nuit ? Maintenant que vous avez abusé de ma confiance c’est fini je ne vous confierai jamais plus la porte de mon jardin. Du reste cette nuit si audacieusement volée sera de moins dans le fameux marché. À propos, quand donc l’exécuterezb-vous, ce marché ? Il me semble que plus vous attendrez et moins nous en profiterons, moi du moins qui n’ai que cette pauvre journée de bonheur à étendre sur toute une longue année de stérilité. Si vous étiez bien gentil vous prendriez mon observation en considération et vous vous dépêcheriez de me donner bien vite cette pauvre petite culotte courte sans marchander et sans vous faire tirer l’oreille jusqu’à l’hiver prochain. Mon doux bien-aimé, mon Victor ravissant, je t’en prie, je t’en supplie tâche de me donner cette joie le plus tôt possible. Tu verras comme je la mettrai à profit.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 194-195
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « attrappé ».
b) « exécuterai ».
25 août [1847], mercredi après-midi, 3 h. ½
Voici bientôt le moment où j’ai l’espoir et presque la certitude de te voir, mon petit Toto, aussi je m’en réjouis à l’avance sans admettre toutes les choses qui peuvent faire obstacle à mon bonheur et te retenir loin de moi. Tout à l’heure j’entendais une servante dire dans la cour qu’elle avait lu dans le journal d’aujourd’hui que le duc de Praslin [1]a était mort. Je ne sais pas si le fait est vrai mais je crains que s’il l’est cela ne soit un motif pour te voir plus tard que tu n’as l’habitude de venir quand tu n’as à t’occuper que de ton travail : tu vois que ma pensée va de la crainte à l’espoir alternativement et presque avec la régularité d’un balancier de pendule. Je voudrais pour tout au monde que tu puisses venir tout de suite et que tu ne me quittes pas. Il me semble que nous avons encore quelque chose à VOIR ? Sera-ce pour aujourd’hui ? Dans tous les cas je suis prête à TOUT et à bien autre chose encore si le cœur vous en dit. Mais je ne crains pas d’être prise au mot, pour aucune de mes propositions. Il y a longtemps que cet empressement s’est envolé ! Depuis que C’EST FONDU. Je vous conseille de rire vieux sans cœur que vous êtes. Cela prouve jusqu’à quel point vous avez perdu toute vergogne. Ce n’est pas vous qui pourriez faire VIGOGNE maintenant même à l’aide du vin de BOURGOGNE QUIQU’EN GROGNE [2] que le diable vous EMPOIGNE ne fût-ceb que pour cent ans. Baisez-moi cher monstre et très aplatic pair de France. Je vous aime malgré tout ça ce qui n’est pas peu dire.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 196-197
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « Pralin ».
b) « fusse ».
c) « applati ».