Guernesey, 7 juin 1856, samedi soir, 7 h. ½
C’est bien le moins, mon cher adoré bien-aimé, que je me paie à moi-même une petite RESTITUS avant de commencer à COPIRE la lettre de l’ex Dieu Enfantin [1]. Depuis trois jours je me suis manquéa de paroles, ce dont mon cœur se plaint et jette les hauts cris. Aujourd’hui encore j’étais sur le point de me faire un troisième puffs [2] mais mon amour n’a pas entendu de cette oreille-là et force m’a été de lui obéir en dépit de tous mes autres devoirs arriérés qui hurlent d’impatience derrière mes talons. C’est donc vrai que je ne te verrai presque pas de la journée demain ? Je voudrais avoir la générosité de ne pas m’en plaindre et t’encourager au contraire à beaucoup t’amuser et à être très heureux sans moi pendant cette longue promenade mais il m’est impossible d’avoir jusque là la coquetterie de l’abnégation. Tout ce que je peux faire, à mon cœur défendant, c’est de prendre du plaisir, de la santé et du bonheur chaque fois que l’occasion s’en présente. Pense à moi, mon bien-aimé, dans la joie et dans le sourire, dans les fleurs et sous le beau ciel demain. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16377, f. 165
Transcription de Chantal Brière
a) « manquée ».