Paris, 21 déc[embre 18]70, mercredi matin, 11 h. ½
Mon cher adoré, j’ai beau faire tous mes efforts pour me soustraire à l’inquiétude du moment, je ne peux pas m’empêcher de craindre et d’être triste. On doit se battre aujourd’hui, si j’en juge par le remuement de troupes cette nuit [1]. Quel sera le résultat de ce nouveau combat ? Hélas, qui le sait ? Jusqu’à présent nous avons été plus héroïques qu’heureux. Il serait bien temps et bien juste qu’en fin de compte la victoire définitive fût pour nous. Je tâche de prendre courage et patience en t’aimant de toute mon âme. J’ai déjà vu tes deux ravissants petits-enfants ce matin. Georges m’honore d’une confiance particulière que je partage avec la réserve de petits gâteaux que j’abrite chez moi. Quant à Petite Jeanne j’ai dit à sa maman que je tenais à sa disposition la douzaine d’œufs frais que tu destinais aux soupers de cette chère petite fille. J’espère qu’elle s’en souviendra et qu’elle voudra bien en user. En attendant je les gardea dans la chambre très peu habitée de Suzanne et par conséquent très fraîche. À ce propos j’ai fait venir du bois tout à l’heure et l’homme qui l’a apporté m’a dit qu’avant huit jours il n’y aura plus moyen de s’en procurer. J’espère qu’il exagère beaucoup la rareté de ce combustible, cependant la blanchisseuse qui sort d’ici ne sait presque plus comment elle pourra se procurer du charbon ou du bois. Tout cela n’empêche pas Louis [2] de poursuivre sa tentative de classe le soir et de désirer ardemment que tu lui accordes la permission de faire son cours de lecture par Napoléon-le-Petit et Les Châtiments. Tu verras la lettre qu’il m’a écrite pour cela et tu auras la bonté de me dire ce que tu peux faire pour lui.
MLVH Bièvres, 130-8-LAS-VH 15 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain
a) « gardes ».