30 mars 1856

Guernesey, 30 mars 1856, dimanche après midi, 4 h.

En veux-tu de la restitus, en VL’A. Ça vous apprendra à faire des manières et à vous poser en amateur de mes pataquès. J’entends et je prétends remplir tout cet in-folio de mon style : recto, verso, en long, en travers, en large, sur les pieds et sur la tête partout où il y aura place j’en fourrerai pour vous en dégoûter une bonne fois. Je n’ai que ce moyen de vous rappeler à la raison. En attendant j’ai un froid de chien car mon feu n’est pas encore allumé et j’ai un mal de tête de loup ce qui me rend assez grognon. Il m’a été impossible, vu les préparatifs de mon pauvre petit Balthazar, d’écrire aujourd’hui à M^me de Montferrier, mais surtout à cause de ma migraine qui me rend toute pensée douloureuse. Cependant dès que je me serai un peu réchauffée je tâcherai d’écrire à cette pauvre femme pour lui offrir les cent francs que tu as la bonté de mettre à sa disposition au risque de te trouver toi-même très à l’étroit. Merci, pour ces bonnes gens, merci pour moi dont ils sont les amis. Merci mon généreux homme de me donner encore une nouvelle occasion de t’admirer dans ton dévouement sans borne à toutes les infortunes. Merci de me rendre l’adoration si facile. Merci, mon Victor, d’être le plus grand de tous les hommes et de me donner le droit de t’aimer plus qu’un homme. Je te dis mal mon amour mais je le sens à faire envie à Dieu lui-même au milieu de tous ses anges. Je baise tes chers petits pieds avec vénération et ton grand front de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 102-103
Transcription d’Élodie Congar assistée de Chantal Brière