Guernesey, 17 juillet 1857, vendredi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour avant que les confitures ne m’envahissent de la tête aux pieds, bonjour, bonheur et good amour. Je suis assez préoccupéea de mon expérience culinaire et confiturière aujourd’hui malgré la collaboration active et savante de la gentille Mme Préveraud car je suis mal outillée pour ces sortes de chef-d’œuvreb et je n’y entends rien du tout. J’espère pourtant que tout se passera dans les règles de l’art et de l’économie et que les confitures sortiront triomphantes de la bassine de la mère Allez. En attendant je vous donne mes tendresses les plus confites et mes baisers les plus doux et mon amour le plus bon [bon ?]. Tout à l’heure j’irai cueillir mes groseilles pendant qu’il ne pleut pas car je prévois que la journée se passera en ondées successives. Pauvre adoré, je te demande pardon de t’écrire toutes ces niaiseries domestiques qui n’ont aucun intérêt pour toi et qui te prennent du temps pour les lire. Quand je pense que tu te condamnes volontairement à ce petit supplice quotidien par bonté et par pitié pour moi et pour ma stupidité je ne sais où fourrer ma honte et mon admiration. Le plus raisonnable serait de renoncer à cette pauvre restitus qui n’a plus ni pied ni patte, ni queue ni tête et que mon âme traîne péniblement au bout d’une plume jusqu’à tes pieds qu’elle adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 127
Transcription de Chantal Brière
a) « préocupée ».
b) « chef d’œuvres ».