Jersey, 11 février 1854, samedi après-midi, 3 h.
J’ai une atroce démangeaison… de vous baiser, mon cher petit homme, et j’essaie de m’en soulager en grattant un peu de restitus. Le Docteur Barbier n’est pas encore venu et ne viendra probablement pas aujourd’hui s’il ne rentre pas chez lui avant l’heure indiquée dans ma lettre. Du reste cela ne presse pas autrement. C’est un malaise général qui n’a d’importance que par sa fixité et sa nature peu ragoûtante. Je crains qu’on ne puisse rien entreprendre de radical à ce moment-ci de l’année, ce qui me vexerait beaucoup de toute manière et à tous les points de vue. En attendant je continue de faire le tour de [illis.] avec une vitesse de mille tours par minute. Encore si je me réchauffais à cet exercice ce ne serait que demi-mal, mais je gèle même au coin de mon feu. Une autre fois je ferai comme les singes, je ne vous dirai plus rien puisque vous avez la férocité de me faire travailler quand j’ai la stupidité de parler. Peut-être que si vous me payiez pour ce genre d’exercice, je ne serais pas si paresseuse mais faire de la rédaction [1] à l’œil me donne des crispations d’horreur et d’indignation. Passe pour cette fois, puisque j’ai commis l’imprudence ci-dessus indiquée. Je vous écrirai donc l’histoire de la race anglaise de la vieille jersiaise et de la petite irlandaise. Dès que je me serai réchauffée, je me mettrai à l’œuvre. Jusque là je vous fricasse mes plus tendres caresses en y fourrant toutes les épices de mon cœur. Si cette sauce ne vous goûte pas, faites en une meilleure et plus salée. Vous en avez le droit et les moyens. Quant à moi, voilà mon savoir-faire avec mon amour en bouquet de persil. Je conviens que cela reste fadasse plus encore que le thé de [2 mots illis.]
Juju
BnF, Mss, NAF 16375, f. 67-68
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière