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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 3 janvier 1854, mardi soir, 4 h.

Je lutte de courage, de patience et de bonne humeur, mon doux adoré, avec la pluie, le froid et le ciel noir. Cela est d’autant plus méritoire de ma part, que j’ai au fond de l’âme la tristesse de ton absence et une sorte de vague inquiétude causée par les confidences de la table [1]. Ce genre de révélations a le double inconvénient de troubler la sécurité, sans inspirer suffisamment de confiance pour prendre des précautions contre les dangers signalés. Quant à moi, mon Victor, je sens que je ne suis pas assez grande équilibriste pour tenir ma raison droite dans cette espèce de gymnastique du monde fantastique et du monde réel. Et si je me livrais longtemps à cet exercice vertigineux, je ne tarderais pas à mêler dans ma pauvre tête la terre et le ciel, Dieu et M. Bonaparte [2], les fées et les cocottes, la nuit et le jour, le mal et le bien, l’amour et la folie. Aussi, si tu m’en crois, tu ne m’associeras pas davantage à cette magie de bois blanc et tu me laisseras t’aimer sur la terre en attendant que j’aille t’adorer dans le ciel.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 7-8
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière
[Souchon, Massin, Blewer]


Jersey, 3 janvier 1854, mardi soir, 4 h. ½

J’ai bien envie dorénavant, mon cher petit homme, de charger la petite table de vous rédiger mes RESTITUS. Elle n’aura pas grand peine à mieux écrire avec son pied que moi avec ma main, et il ne faut pas être une grande sorcière pour deviner ce que j’ai dans le cœur et de quoi mon âme est faite. En attendant je me livre à l’élucubration terre à terre, n’osant pas m’aventurer dans le style fantastique. D’ailleurs, ce n’est pas pour cela que vous m’avez prise.
Quel temps, mon pauvre bien-aimé, il me fige le sourire sur les lèvres. Je pense que tu vas venir dans la nuit noire par un chemin désert et je n’ai plus le courage de plaisanter. Si j’étais seule dans ma maison, sans personne autour de moi qui puisse commenter mes actions, et les livrer à la malignité publique, j’irais t’attendre à ta porte et j’aurais moins froid au cœur, et je sentirais moins la nuit, la pluie, le vent et le guet-apensa qu’assise auprès de mon feu, la pensée fixée sur un danger, j’espère imaginaire, mais qui me tourmente autant que le ferait le plus réel. Oh ! Dieu, s’il t’arrivait malheur, je ne me pardonnerais pas d’avoir écouté le faux respect humain qui me retient ici.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 9-10
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière
[Souchon, Massin]

a) « guet-à-pens ».

Notes

[1Les procès-verbaux des séances de tables parlantes des 1er et 2 janvier 1854 font référence à des embûches tendues à l’encontre de Meurice et de Victor Hugo par Bonaparte (Massin, CFL, tome IX, p.1273-1274).

[2Napoléon III.

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