Guernesey, 3 décembre 1860, lundi soir, 8 h.
Je ne veux pas que cette journée s’achève, mon cher bien-aimé, sans t’avoir donné toutes les effusions les plus tendres et les plus reconnaissantes de mon âme. Je renonce à te remercier, mon généreux homme, car les mots me manquent et je sens que rien ne saurait te dire combien je suis émue, touchée et attendrie de ta bonté inépuisable, charmante et adorable [1]. Mais mon cœur est jaloux et voudrait lutter de générosité avec le tien ; comment faire pour le satisfaire ? That is the question. Quant à moi, je n’ai rien à t’offrir, du moins que je sache, mais je t’ouvre mes armoires, mes coffres, mes malles, mes sacs (pas de louis), mon cœur, mon âme, ma vie, prends, choisis, puises-y tout ce qu’ils contiennent sans crainte d’en [voir ?] la fin ou de trouver le bout de mon amour, de mon dévouement et de mon adoration [2]. Je t’écris tout cela au hasard de ma plume et sans prendre le temps de viser cette tendresse-ci plutôt que l’autre. Je suis si sûre de t’aimer depuis les pieds jusqu’à la tête que je ne crains pas de me tromper en donnant la volée à mes tendresses, aussi je te baise les yeux fermés.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 311
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette