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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 avril [1836], jeudi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon cher petit homme bien aimé ; vous n’avez pas voulu gagner la prime cette nuit, tant pis pour moi car j’étais bien disposée à vous l’accorder plutôt deux fois qu’une.
J’espère mon cher bijou que tu ne te laisses pas trop approcher dans les rues la nuit. Je ne peux pas penser sans trembler aux rencontres que tu peux faire si tard et si préoccupé que tu es. Aussi, mon cher adoré, je te prie d’user de ton moulinet chaque fois que tu entendras ou que tu vois quelque homme s’approcher de toi.
Vous ne direz pas maintenant que mon STYLE n’est pas BRILLANT. Il me semble que je peux me flatter de jeter de la poudre aux yeux tout comme un autre. MES MOYENS ME LE PERMETTENT.
Je t’aime, mon Victor chéri ; tu verras comme je serai douce et résignée, tu verras. Je souffrirai toujours en dedans, car il n’est pas juste que si j’ai des jalousies absurdes et des chagrins hors de propos, je t’en fasse supporter l’ennui. Aussi, mon cher petit bien aimé, je te promets bien de tout renfoncer dans mon gosier plutôt que de te tourmenter. Je veux que tu m’aimes, j’ai besoin que tu m’aimes, et tu finirais par me haïr si je te harcelais sans cesse de ma jalousie et de mes inquiétudes. Tu verras, je serai bien forte et je t’aimerai tant qu’il faudra bien que tu m’aimes un peu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 330-331
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa


21 avril [1836], jeudi soir, 9 h. ½

À genoux, mon bien aimé, c’est à genoux que j’ai lu ta lettre [1]. Oh ! que tu m’as fait de bien et que je t’aime de m’avoir fait ce bonheur. Mais pourquoi n’es-tu pas venu, pourquoi ne t’ai-je pas vu encore aujourd’hui ? Tu as craint que je ne puisse pas supporter tant de joie à la fois ? Mais mon pauvre cœur était si desséché, si altéré de toi depuis si longtemps, qu’avant que tu parviennes à l’étancher il te faudrait me donner ta vie entière dans ce monde et dans l’autre — et encore, il y aurait toujours place pour le désir. Tu m’aimes, dis-tu ? Mais je t’adore, moi. Tu m’aimes, tu as pitié de moi, tu ne veux pas que je pleure, tu ne veux pas que je souffre. Mais les pleurs que je verse à cause de toi, c’est de la volupté, c’est du ravissement, c’est de l’extase. Si je ne t’avais plus, je ne pourrais plus pleurer parce que je ne pourrais plus ni sourire, ni vivre, ni sentir. Je ne sais pas un mot de ce que je t’écris. Je sais que je t’aime, que mon cœur déborde. Ta lettre, c’est un rayon de soleil qui a fait monter la sève de mon amour jusque dans mes cheveux. J’ai chaud, je suis gaie quoi que je ne t’aie pas encore vu ; mais c’est qu’il me semble que tu vas venir, c’est qu’il me semble que ta lettre s’anime sur mon cœur, c’est que je suis folle, c’est que je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 332-333
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
[Souchon, Massin]

Notes

[1Jean Gaudon publie (éd. cit., p. 83) une très belle lettre d’amour de Victor Hugo à Juliette Drouet, qu’il date du 27 avril 1836, en se fondant sur le timbre postal. Curieusement, le 27 et le 28 avril, Juliette ne fait allusion à aucune lettre de Hugo, alors qu’elle mentionne généralement par retour du courrier les lettres qu’elle reçoit de lui. Faut-il revoir la datation de la lettre de Hugo ? En tout cas, la présente lettre de Juliette Drouet est indubitablement datée par son auteur du jeudi 21 avril.

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