Guernesey, 19 août 1859, vendredi matin, 7 h. ¼
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour dans l’épanouissement de mon cœur et dans toute l’admiration et l’adoration de mon âme, bonjour. Je ne sais pas si tu as passé une bonne nuit, mais quant à moi, il m’a été impossible de dormir. Je ne fais pas les honneurs de cette insomnie à l’amnistie [1], quoiqu’elle y soit bien un peu pour quelque chose à cause des diversions tristes possibles qu’elle peut amener dans ton intérieur. Et pourtant, en y réfléchissant bien, cela me paraît peu à craindre tant l’attachement et le dévouement sont entiers et inaltérables. M. Bonaparte en sera donc pour ce qui te concerne pour ses frais de clémence et nous aurons le plaisir de cracher dessus au passage. Quant aux proscrits qui consentent à rentrer en France par cette porte bâtarde sous prétexte d’aisance et de commoditésa, grand bien leur fasse, mais je ne les envie pas, à défaut de mon amour qui fait que je ne peux vivre que là où tu es, il me semble que j’ai dans l’âme un fond d’honnêteté, de fierté et de vertu qui ne me permettrait pas de rester dans lab même atmosphère que cet infâme scélérat. Aussi, mon cher adoré, je n’ai pas même le mérite de la résignation en restant en exil avec toi, puisque toi c’est tout pour moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16380, f. 189
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
[Blewer]
a) « commoditées ».
b) « le ».