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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 mai 1847

12 mai [1847], mercredi soir, 7 h. ¾

D’abord tu n’en perdras pas une ligne, pas un mot, pas un pataquès, pas une stupidité, pas une tendresse et pas un baiser. C’est mon droit, c’est mon devoir et mon plaisir et je suis trop pénétrée de tous ces sentiments pour m’y soustraire sous quelque prétexte que ce soit. Si je pouvais vivre où tu n’es pas, j’aurais très bien vécu, dans toute l’acception du mot, avec ces braves Triger. Malheureusement la vraie vie n’est pas dans le filet de bœuf rôti et le vin de Bordeauxa, pas plus que le bonheur n’est dans le lilasb en fleur et le ciel bleu. Il y a autre chose encore de plus substantiel, de plus généreux, de plus parfumé et de plus rayonnant, c’est l’amour. L’amour, c’est-à-dire la présence de l’homme aimé, son sourire, son baiser, son regard et son âme. Je le sens mieux que je ne peux te le dire. Mon cœur a faim et soif de toi et mon âme te désire comme la nature désire le soleil après l’hiver. Je te dis tout cela comme je peux, mais il y a en moi des gerbes lumineuses d’amour, des myriades de tendresses étincelantesc qui s’éteignent en passant par ma plume. Mon esprit est un mauvais artificier qui ne sait pas tirer parti du foyer ardent que j’ai dans le cœur. Au lieu d’allumer des étoiles et de faire éclater des fusées, il barbotte bêtement dans sa bouteille à l’encre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 114-115
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « Bordeau ».
b) « lila ».
c) « étincellantes ».


12 mai [1847], mercredi soir, 7 h. [¼ ?]

Comme tu l’as sans doute pensé, mon amour, je n’ai pas pu t’écrire ce matin, pressée que j’étais par l’heure. Je suis sortie de chez moi à 8 h. ½ et j’étais à 9 h. chez Mlle Féau. Du reste j’ai bien regretté de m’en aller de chez moi sans te laisser un mot d’amour et de tendresse. Une autre fois je me lèverai plus tôt, quelle quea soit l’heure à laquelle je me serai couchée. C’est une idée que j’ai comme ça. Je ne veux pas, si je dois mourir hors de chez moi, m’en aller sans te laisser un dernier souvenir de tendresse. Je serais capable de revenir du paradis, si j’y étais, pour te le rapporter.
Du reste la seule impression qui me soit restée de ma visite au Salon, à part la fatigue inévitable de ce genre d’excursion, c’est le peu de parti qu’on tire de toute cette énorme quantité de croûtes. La ville de Paris, outre ces bons de pain, n’aurait qu’à donner des cartes d’entrée aux indigents de tous les arrondissements, sans en excepter la banlieue et les départements, et je suis sûre qu’elle rassasierait les plus affamés pour longtemps, rien que par la vue de ces croûtes dont quelques-unes peuvent passer pour de monstrueuses brioches. Je m’étonne que M. de Rambuteau n’ait pas eu cette idée nourrissante, lui qui est farci de choses si farces. Il m’aurait épargné ce stupide et filandreux paragraphe et à vous la honte d’avoir une Juju si bête que ça.

BnF, Mss, NAF 16365, f. 116-117
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».

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