Guernesey 18 octobre 1861, vendredi, 7 h. ½ du matin.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour au dedans et au dehors sur tes yeux et dans ton cœur. Comment vas-tu ce matin, mon cher bien aimé ? Tu n’as pas encore ouvert ta fenêtre et tu feras bien, même levé, de ne pas l’ouvrir avant que le brouillard qu’il fait en ce moment ne soit dissipé. Quant à moi, je me tiens close et couverte et je m’en trouve très bien. J’ai déjà commencé mon travail ce matin que je vais continuer avec bonheur dès que je t’aurai bâclé ma chère petite restitus, qui, cette fois ne dépassera pas l’ordonnance de l’épaisseur d’une ligne ; à preuve que je vous baise ici même et sans plus de commentaire, et je t’aime en bloc.
Juliette
19 [octobre 1861], samedi matin, 7h.
Cher adoré, bien aimé, je trouve presque ridicule de recommencer ce matin le mot à mot que je te disais hier et cela sur le même papier [1]. Encore si je pouvais y introduire quelque variante cela serait moins puéril mais c’est que je n’ai absolument rien au fond de ma pensée, de mon cœur et de mon âme que ce seul mot : je t’aime que tu dois lire d’avance et par habitude. Et sans avoir besoin même de jeter les yeux sur mes gribouillis. Aussi je trouve très simple que nous les diminuions de plus en plus mais la simplification serait meilleure encore si nous les supprimions tout à fait. Je ne t’en aimerais pas moins et je cacherais ma pauvreté d’esprit, ce qui n’est pas à dédaigner même pour toi, mon pauvre adoré qui a bien autre chose à faire que de lire mes tendres niaiseries.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 128
Transcription de Florence Naugrette