Jersey, 21 novembre 1854, mardi soir, 4 h.
J’étais presque revenue avant d’être allée à la ville, mon cher petit homme, afin de ne pas te manquer dans le cas où tu aurais eu la bonne pensée de passer chez moi en allant chez Asplet [1] ; mais j’en ai été pour mes frais de jambes et de dératement puisque tu n’es pas venu ni avant, ni après ma course. Du reste ce n’est pas l’attente de la poste qui t’aura retenu chez toi jusqu’à présent car elle est venue de très bonne heure. Je le sais parce que j’ai reçu une lettre de Julie, laquelle, au milieu des lamentations les plus accentuées sur la misère de Paris, m’annonce l’envoi de tes deux médaillons tirés de chez Barbedienne qui n’en ayanta pas de tout fait s’est empressé de faire fonctionner sa machine Colas [2]. Quant à tes bustes, il n’en restait qu’un tellement hideux… de couleur que Julie n’a pas voulu me l’envoyer. J’aurais préféré pourtant deux de tes ravissants petits bustes si ressemblants aux médaillons dont la « ressemblance » a toujours été très négative à cause de la dimension vacquerienne de ton nez [3]. Mais à l’impossible nul n’est tenu et la plus vieille fille du monde ne peut donner que ce qu’on lui envoie. Il faudra que ces braves Asplet s’en contententc jusqu’à une meilleure occasion. Je saisis celle-ci pour te baiser depuis les pieds jusqu’à la tête.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 392-393
Transcription de Chantal Brière
a) « n’ayant ».
b) « contente ».