Jersey, 23 août 1854, mercredi après midi, 2 h. ½
Je ne te demande pas où tu es et ce que tu fais, mon cher petit homme, mais je t’attends avec une tendre impatience que tu dois comprendre, de reste, en songeant combien peu je t’ai vu hier et au milieu de quelle préoccupationa ! Suzanne a pu affranchir la lettre à temps, cela a coûté 5 [?]15 que j’ai porté tout à l’heure sur ta mémoire [1] avec la fameuse livre sterling et bien autre chose encore sans le reste. À propos de reste, j’espère que tu n’y seras pas en reste… de reconnaissance envers L’Homme pour les honneurs qu’on ne te rend pas et pour les perfidies dont on t’honore. Ce ne sont pas seulement les deux ou trois meurt-de-faim français qu’on oppose à la démonstration furieusement personnelle que t’envoie l’Espagne [2], c’est la Junte tout entière qu’on dénigre et qu’on diffame dans l’intention assez lâche et assez misérable de faire dévier de son but l’honneur que tout un peuple te fait. Je n’attendais pas moins de ce groupe, voireb même de ce Durrieuc [3] dont le républicanisme enchifrenéd m’est suspect depuis longtemps déjà, voireb même avant les emprunts des pièces de cent sous qu’il ne t’a jamais rendues e si ce n’est sous la forme épistolaire de la lettre au citoyen Ribeyrolles imprimée vive aujourd’hui dans L’HOMME [4]. Mais ils ont beau faire, beau dire et laid écrire, ils n’empêcheront pas ta bienfaisante et lumineuse popularité de faire le tour du monde et de te revenir chargée des bénédictions de tous les cœurs honnêtes et de toutes les intelligences élevées.
Je te demande pardon de m’immiscerf à ce point dans tout ce qui te regarde mais il m’est aussi impossible de contenir mon indignation et mon dégoût devant de certaines turpitudes morales que de retenir mon admiration et mon adoration pour toi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 265-266
Transcription de Chantal Brière
a) « préocupation ».
b) « voir ».
c) « Durieu ».
d) « inchiffrèné ».
e) « rendu ».
f) « imiscer ».