Jersey, 17 avril 1854, lundi après-midi, 2 h. ½
Si je connaissais moins mon Toto, j’aurais pu tomber dans le traquenard Saint Aubin [1] aujourd’hui mais le sachant par cœur, hélas ! je me suis bien donné de garde de croire à sa fallacieuse promesse en prenant la peine inutile, mais agaçante de me mettre sous les ormes sous ce prétexte fantastique. Aussi je suis encore dans le simple appareil d’une Juju qu’on vient d’arracher aux soins du ménage [2]. Cela ne m’a pas empêchée, poussière faisant, de donner audience à l’énigmatique Allair. Je n’ai même trouvé rien de plus ingénieux pour me dérober à son invitation personnelle que de l’envoyer chez vous voir si vous y êtes malgré la certitude que j’ai qu’il ne vous trouvera pas. Maintenant il paraît d’après ce que j’ai pu entrevoir dans son langage mâché qu’il n’aura plus de meuble d’ici à jeudi prochain et qu’il partira ainsi que [famo ?] le 27 de ce mois. Les choses étant ainsi, je ne vois aucune nécessité de se mettre en frais de connaissance surtout à cette distance. Enfin [ne] sachant que lui répondre là-dessus et sur une lettre de recommandation qu’il désirait te demander je l’ai envoyé chez toi à tout hasard. Telle est ma finesse. En attendant ce soir je te gribouille une espèce de restitus ressemblant fort, pour la forme et pour le fond, à la viande des lieux. Et, pour le rendre pire encore, j’y ajoute mon amour en guise de sauce. Tiens vous voilà, quelle chance ! et comme vous allez triompher.
BnF, Mss, NAF 16375, f. 144-145
Transcription de Chantal Brière