26 novembre [1846], jeudi matin, 9 h.
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, santé, bonheur et amour à toi, mon doux adoré. Comment vas-tu ce matin ? Je n’ai pas l’espoir de te voir avant le moment où tu iras à l’Académie, mais j’ai celui d’aller te chercher ce soir et de faire un petit bout de promenade accrochée à ton cher petit bras [1], ce qui me met un peu de baumea et de joie dans le cœur.
J’attendrai tant que tu voudras, mon Toto, je te laisse juge et de l’opportunité de la réparation de mes affreux fauteuils et de celle de l’état de ta bourse. Ainsi je ne t’en parlerai plus. Je crois que tu feras bien d’acheter du papier aujourd’hui même parce qu’il n’y en a plus du tout. Cela te sera facile, en passant sur le quai aux Fleurs [2], d’entrer chez le marchand de papier ce soir.
Je voudrais bien n’avoir pas besoin d’aller chez Mlle Féau tantôt. Elle est si ennuyeuseb que je redoute extrêmement de subir pendant un quart d’heure seulement toutes ses fades et niaises politesses. Cependant j’aime encore mieux me laisser assommer pendant une heure et te voir, que de rester dans mon coin à t’attendre indéfiniment, voilà mon opinion. Baisez-moi et aimez-moi et je ne serai pas en reste avec vous. Je vous attends et je vous désire et je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 265-266
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « beaume ».
b) « ennuieuse ».
26 novembre [1846], jeudi après-midi, [1 h. ?]
Le temps est bien beau, mon petit Toto, et je m’apprête à en profiter tantôt avec toi sans en perdre une goutte. Oh ! Dieu le vilain mot que je viens d’écrire là, pourvu qu’il n’aille pas me porter malheur ! Dans tous les cas j’aurai mes socques [3] et j’emporterai mon parapluie ; mais j’aimerais mieux qu’il fît tout à fait beau. Je te vois si peu et cela m’arrive si rarement (une fois tous les huit jours) de sortir avec toi qu’il serait bien juste qu’on me laissâta passer tranquillement et sans la moindre averse ce petit moment de bonheur. Je t’attends, mon Toto, j’espère que tu n’iras pas à l’Académie sans venir baigner tes chers yeux [4] et sans me dire un petit bonjour ? J’y compte de toutes mes forces.
Tu sais que je suis à ta disposition pour copire : le plus tôt que tu pourras me donner de l’ouvrage, plus tôt tu me feras plaisir. J’attends et je désire. Cher petit homme, je t’aime. Je suis heureuse parce que je vais te voir tout à l’heure et que je reviendrai avec toi ce soir. Une goutte de toi dans ma vie suffit pour teindre en joie bien des tristesses et bien des ennuis. Je t’aime tant, tant, tant, qu’il me serait impossible de savoir où mon amour commence et où il finit.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 267-268
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « laissa ».