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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 octobre [1846], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon plus qu’aimé, bonjour mon adoré, bonjour mon cher amour, je te baise de l’âme. Comment vas-tu et comment vont tes chers enfants ce matin ? Je te remercie d’être venu cette nuit, tu as bien, bien, bien fait. Quand je ne t’ai pas vu, ne fût-ce qu’une minute, toute ma nuit s’en ressent et je dors très mal. Merci, mon Toto chéri, merci mon amour, tu es un bon petit homme que j’admire et que j’aime de toutes mes forces et de tout mon cœur. Hier j’ai lu à ces enfants [1] Une visite chez Victor Hugo [2] et nous y avons trouvé l’histoire de cette pauvre Joséphine très fidèlement racontée. La pensée que tu t’étais occupé de leur tante pour la plaindre et la louer les faisaita pleurer de reconnaissance et de joie, ces bonnes jeunes filles. Et puis nous avons lu La Charité [3], alors c’était des cris d’admiration et de bonheur de tout le monde, et de moi plus que toutes les autres puisque je savais la pièce par cœur et que plus on sait ces admirables choses et plus on y découvre des merveilles sublimes. Voilà à quoi nous avons employé notre temps hier au soir, mon doux aimé, ce qui ne m’a pas empêchée, chemin faisant, de remarquer qu’il y avait chez vous des foules de jeunes femmes nonchalamment assises sur des divans et dont vous admiriez les yeux, les parures et le RESTE. J’aurai une explication à vous demander à ce sujet et gare à vous si elle ne me paraît pas claire et satisfaisante. En attendant, baisez-moi, monstre d’homme. Je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 183-184
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « faisaient ».


5 octobre [1846], lundi soir, 6 h.

Que je vous voie, scélérat, toucher à MON ARGENT. Cela ne m’arrive pas assez souvent d’avoir de L’ARGENT À MOI pour en donner un centime à qui que ce soit. Je sens que ce serait m’arracher mes petits boillieaux que de me prendre un rouge liard de MON PAUVRE ARGENT. Harpagona n’était que de la Saint-Jean [4] à côté de moi. Ah ! bien ouiche [5], te donner mon argent. D’abord tu ne me le rendrais jamais et puis j’ai mes idées là-dessus. D’ailleurs vous êtes trop sale. On dirait que vous mettez la presse périodique à infuser dans l’endroit où la civette [6] met son tabac. Encore si cela la rendait meilleure, mais cela ne la fait que plus dégoûtante et voilà tout. Aussi je ne veux pas, sous aucun prétexte, vous donner mon argent. Vous aurez beau prier, supplier, crier, hurler, menacer et enrager, vous n’aurez rien du tout. ATTRAPÉb !
J’ai un mal de tête immonde qui m’ôte tout espèce d’entrain. Je sens que je suis plus bête que la bêtise en personne. Je suis abasourdie et aplatie au dernier degré. Je te demande pardon de ma stupidité mais j’aime encore mieux te donner MON ARGENT que d’essayer d’être moins hideusement bête tant je souffre. Je me hâte de te donner le bonsoir avec mille baisers pour ne pas t’assommer plus longtemps de mes balourdises ineptes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 185-186
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « Arpagon ».
b) « Attrappé ».

Notes

[1Ce sont les deux plus petites filles de Mme Rivière, qui rendent fréquemment visite à Juliette Drouet. L’aînée, Louise Rivière, était une amie de Claire Pradier.

[2Un article d’Auguste Vacquerie est paru la veille dans L’Époque.

[3Premier titre du poème des Voix intérieures « Dieu est toujours là », vendu d’abord en plaquette le 27 février 1837 au profit des pauvres du 10e arrondissement.

[4À élucider.

[5Interjection populaire qui marque le doute, l’incrédulité et la moquerie.

[6À l’origine, petit mammifère appelé chat musqué. Les sécrétions de ses glandes anales étaient utilisées en pharmacie et dans la fabrication des cigares et des parfums, et ce mot a donc désigné par la suite une boutique de cigares puis un bureau de tabac.

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