18 février 1849

18 février [1849], dimanche midi

Si tu ne te dépêches^a pas de venir bien vite, mon Toto adoré, tu arriveras encore en même temps que mes péronnelles, ce qui sera fort ennuyeux^b pour toi, pour moi et pour elles, parce que si peu que je m’en occupe c’est du temps perdu pour mon bonheur, et que le voisinage de ces braves commères ne t’amuse^c pas. J’aurais préféré que tu vinsses^d de bonne heure pour jouir à mon aise et sans gêne du plaisir d’être avec toi, mais il est peu probable que tu te rendras à ce désir que tu ne comprends pas parce que tu ne le ressens plus. Allons voici que je retombe dans ma rabâcherie^e habituelle. J’aime mieux autre chose voire même les lunettes du citoyen Proudhon [1] et le garde-vue vert de l’autre, non moins citoyen, Jules de Lasteyrie [2]. Le rabâchage sur cette chambre vaut encore mieux que la rabâcherie sur la mienne. D’abord on s’y donne plus de coups de poings et on s’y dit plus de gros mots, donc c’est plus gai et plus amusant. Vous savez que je suis poursuivie^f par la pensée que vous êtes allé au bal de l’opéra la nuit passée. Cette pensée peut être drôle en elle-même mais je la trouve médiocrement amusante pour moi. Vous seul savez ce qui en est et je vous attends avec un redoublement d’impatience pour savoir à quoi m’en tenir pour vous tuer ou pour vous baiser selon que vous le mériterez.

Juliette

Vente Boisgirard-Antonin, expert Thierry Bodin, Drouot, salle 4, 24 mai 2019, lot n° 243
Transcription de Jean-Marc Hovasse

a) « dépêche ».
b) « ennuieux ».
c) « t’amusent ».
d) « vinsse ».
e) « rabacherie » (et, plus loin, « rabachage » et de nouveau « rabacherie »).
f) « poursuivi ».