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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 octobre [1845], vendredi matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon Victor, bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon âme. Si les mots s’imprégnaient des choses qu’ils sont chargés d’exprimer, ceux-ci t’apparaîtraient comme autant d’étoiles, car il sortent du plus profond de mon cœur. Que fais-tu mon adoré ? Comment as-tu passé la nuit ? As-tu pensé un peu à moi ? M’aimes-tu ? Toute ma vie se résume en ces deux choses : savoir si tu m’aimes et t’aimer de toutes mes forces. Le reste m’est égal comme deux œufs. J’attends ce soir avec impatience parce que je sais que tu dîneras avec moi. J’espère bien même que tu viendras me voir un peu dans la journée si tu reviens à Paris [1] plus tôt que ce soir. Cependant je ne serai bien sûre de tout cela que lorsque je t’aurai vu. Je sais par expérience combien le pouvoir de Mlle Dédé est grand pour vous retenir. Pauvre ange, je m’en veux d’être envieuse et jalouse de son bonheur lorsqu’elle vous a et d’un autre côté, je me trouve très malheureuse et très à plaindre d’être obligée de vous partager avec elle, hélas ! et avec bien d’autres qui ne vous valent pas. Aussi je ne serai sûre de mon bonheur que lorsque je vous tiendrai.
Je t’ai raconté hier en rentrant toutes mes aventures qui sont des plus simples comme tu le verras. Je ne t’ai rien dit des dessins de Génevoy parce que je ne m’y connais pas assez pour savoir s’il a fait quelque faute et si le manteau est bien ce qu’il faut. Il est convenu qu’on referait ce qui manquerait dans le cas où il manquerait quelque chose. Tu verras cela ce soir. D’ici là, je vais bien me tourmenter dans la crainte que tu ne viennesa pas et t’aimer de toute mon âme pour te forcer à venir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 7-8
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu ne vienne ».


3 octobre [1845], vendredi soir, 5 h.

Plus l’heure approche et moins je me sens rassurée, mon bien-aimé, je crains plus que je ne puis dire qu’on ne t’ait retenu à Saint-James [2]. Si cela est, je serai bien triste et bien malheureuse ce soir. Il me semble que si tu étais revenu à Paris, tu serais venu chez moi, ne fût-cea que l’instant de baigner tes yeux et de te laisser baiser par moi ? Si je me trompe, tant mieux, Dieu sait que je ne demande pas mieux. Mais si je ne me trompe, je suis une pauvre Juju bien à plaindre et bien ennuyéeb. J’ai voulu essayer ce matin de mon fameux remède contre l’absence. Je me suis mise à jardiner pendant 2 ou 3 h. Mais je n’ai gagné à cet exercice que beaucoup de terre et d’eau et un peu de courbatures. Mon pauvre cœur ne s’est pas desserréc, il est resté dans le même état de contraction douloureuse jusqu’à présent. Il n’y a que toi qui pourra le dérider si tu viens ce soir. Malheureusement je crains bien que ce ne soit pas pour aujourd’hui. La journée a été très belle et il est plus que probable qu’on t’aura retenu jusqu’à demain.
Mon Victor chéri, mon amour, j’ai un poids de cent livres sur le cœur qui augmente de seconde en seconde. Si tu ne viens pas, je ne sais pas ce que ça deviendra. Je t’aime, mon Victor adoré. Je t’aime trop, cela m’ôte tout courage, toute gaîté, toute liberté d’esprit. Dès que tu t’éloignes de moi, je suis comme un pauvre corps sans âme. Tu vois bien que je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 9-10
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « ne fusse ».
b) « ennuiée ».
c) « déserré ».

Notes

[1Le 2 octobre, Victor Hugo a accompagné Charles à Saint-James où sa famille séjourne depuis le 12 septembre.

[2Le 2 octobre, Victor Hugo a accompagné Charles à Saint-James où sa famille séjourne depuis le 12 septembre. Il rentre à Paris le 3 octobre.

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