5 août [1845 [1],] mardi après-midi, 4 h. ¾
Mon Victor adoré, je souffre trop de te croire coupable de déloyauté et, puisque je ne peux pas avoir l’explication instantanéea de l’incident d’hier, j’aime [mieux] croire aveuglément à ta probité que de souffrir plus longtemps. D’ailleurs c’est intolérable. Je ne peux plus y tenir. J’ai vu le moment où j’allais m’enfuir de la maison comme une insensée. N’est-ce pas que tu m’aimes ? N’est-ce pas que je te suis nécessaire ? N’est-ce pas que ta vie est attachée à la mienne comme la mienne à toi ? N’est-ce pas que tu m’es bien fidèle et que je suis une folle d’en douter ? N’est-ce pas que tu seras bien triste de m’avoir fait tant de mal involontairement et à ton insu [2] ? N’est-ce pas qu’il faut que je baise ton adorable petite lettre sans amertume [3] ? N’est-ce pas qu’il faut que je sois geaie ? N’est-ce pas qu’il faut que je te porte, que je te sourisse ? N’est-ce pas qu’il faut que j’aie soif ? N’est-ce pas que tu auras un bel habit ? N’est-ce pas que tu es mon beau, mon noble, mon loyal Victor sublime et adoré ? Alors je te pardonne tout le mal que tu m’as fait. Je te pardonne d’avoir oublié mes gribouillis [4] à la condition que tu en seras très fâché et que tu te donneras des bons coups sur le contraire de ton nez. Seulement je reste toujours très fâchée de ne pas savoir quand tu viendras me voir. Si cela pouvait être demain. Le bon Dieu et toi vous devez bien ce dédommagement pour les vingt-quatre heures atroces que vous m’avez fait souffrir sans parler des autres.
Juliette
Collection particulière / MLM / Paris, 35616
Transcription de Gérard Pouchain annotée par Florence Naugrette
a) « instantannée ».