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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 juin 1845

13 juin [1845], vendredi matin, 8 h. ¼

Bonjour, mon Toto aimé, bonjour, mon Victor adoré, bonjour, mon beau, mon noble, mon généreux homme, bonjour, je t’aime. Comment te sens-tua aujourd’hui ? Es-tu moins fatigué et moins endolori qu’hier ? Pour moi, je suis en capilotade. Toutes ces émotions d’hier jointes à certaine indisposition font que je suis très bête et très blaireuse ce matin. Voilà où j’en suis. Quand je pense, mon pauvre bien-aimé, à toute la peine que tu t’es donnéeb pour ma grande fille et à toute celle que tu te donnes pour moi jour et nuit sans en recueillir le fruit, je suis tentée de me sauver avec elle à l’autre bout du monde.
J’ai le cœur plein de découragement ce matin, mon Toto. C’est ce qui t’explique l’amertume de mes paroles. Amertume qui vient de notre mauvaise chance à toutes les deux, à ma fille et à moi. Cela ne m’empêche pas de sentir avec la plus tendre reconnaissance tout ton admirable dévouement pour elle et pour moi. Seulement je crains que notre guignon soit plus fort que ton dévouement. Voilà ce qui me décourage et m’afflige au-delà de toute expression.
Mon Victor chéri, je t’aime, c’est te dire combien j’aurais voulu t’épargner les ennuis de ma position. C’est en même temps t’expliquer mes craintes et mes scrupules. Loin de t’être à charge de toute façon, j’aurais voulu pouvoir donner ma vie pour toi. Je suis loin du comptec avec mon cœur, comme tu vois. Je ne sais pas si je m’en approcherai un jour davantage, mais je sais que je t’aime à genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 291-292
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « sentes-tu » ?
b) « tu t’es donné ».
c) « de compte ».


13 juin [1845], vendredi après-midi, 1 h. ¾

Tu t’es embarrassé d’un parapluie pour rien, mon cher amour. Si tu avais le sens commun, tu viendrais bien vite déposer ce hideux parapluie et reprendre votre charmante canne. J’allais dire femme. Heureusement que je me suis aperçuea à temps de ce lapsus qui m’aurait couverteb de ridicule. Je vous verrais, en même temps, ce qui ne me déplairait pas excessivement. Mais vous aimerez mieux promener ce hideux riflard toute la journée avec vous que de donner une seconde de joie à votre pauvre vieille Juju. Taisez-vous, vilain monstre. Je sais trop combien ce que je dis est vrai. Taisez-vous, taisez-vous, vous m’agacez LES NERFFES.
Dabat est venu ; tu auras tes souliers mardi ou mercredi. Il croit n’avoir pas le besoin d’échantillon pour le noir. Il les fera en casimir [1] parce que c’est plus doux et plus solide que le [lasting ?]. Le bout vernic n’aura pas plus de treize lignes de longueur. Vois si tu as quelques observations à faire dans tout cela pour que je les lui transmette à temps.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, je vous aime. Je t’ai écrit bien des bêtises et bien des tristesses ce matin. C’est que j’en avais un peu plus que de coutume. Je te prie de n’y pas faire attention et de ne considérer que l’amour sans borne que j’ai pour toi. Ce soir j’aurai repris mon équilibre et il n’y paraîtra plus. Et puis mon amour sort toujours plus fort et plus épuré de toutes ces petites souffrances inévitables de la vie. Je t’aime, mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 293-294
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je me suis aperçu ».
b) « couvert ».
c) « vernis ».

Notes

[1« Drap léger en laine fine, [...] presque exclusivement employé pour vêtements d’hommes » (Larousse).

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