Guernesey, 8 avril 1860, dimanche, 8 h. du matin
Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour mon vénéré, mon admiré, mon adoré, bonjour. Je ne saurai jamais te dire assez combien je t’aime et l’éternité même n’y suffira pas car mon amour s’augmente chaque jour de tout mon amour passé.
Je te remercie de ta gracieuse bonté d’hier. Je sens tout ce qu’elle a d’inexprimablement bon et de généreux dans l’état de fatigue et de surexcitation où tu es. Il faut, mon pauvre adoré, que je sois bien convaincue du ridicule que mon ignorance ferait rejaillir sur toi pour t’imposer l’ennui de m’aider à la dissimuler vis à vis tes amis plus ou moins bienveillants. Du reste tu dois reconnaître que je ne le fais qu’à la dernière extrémité et qu’à mon cœur défendant tant je crains de te déplaire. J’espère que tu as passé une bonne nuit, mon bien-aimé petit homme ; quant à moi j’ai dormi comme une marmotte et je dormirais encore sans le hourvaria [1] ultra matinal que fait Suzanne sous prétexte de grand-messe à dix heures. Je crains que la journée ne soit pas bien belle et que nous ne puissions pas faire notre petite promenade sur la colline tantôt. Mais pourvu que je sois auprès de toi soit au-dedans soit au-dehors je suis heureuse et je remercie Dieu.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 75
Transcription de Claire Villanueva
a) « ourvari ».