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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 juin 1845

7 juin [1845], samedi matin, 11 h.

Bonjour, mon Toto aimé, bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour, vous, bonjour, toi, je t’aime. Que je vous voie me dire des bêtises de somnambule, de somnambule de Longjumeau, c’est bien assez d’un POSTILLON [1], sans y ajouter des somnambules peu comiques malgré la bouffonne crédulité des gobe-mouchesa du pays, des environs et autres lieuxb. Voire même, ceux de l’Académie et de la Chambre des pairs. Si le magnétisme existait autrement que pour les badauds de tous les pays, de tous les rangs et de tous les sexes, y compris les poètes, il y a longtemps que je vous aurais forcé à venir me trouver par la seule force de mon amour et de ma volonté. Aussi je ne crois pas un mot de toutes ces somnambuleries-là.
Quel temps ! On voit bien que c’est le jour de sortie de ma péronnelle. C’est un genre de magnétisme humide et marécageux que celui qu’elle exerce sur le baromètre chaque fois qu’elle doit sortir. Ô, Claire, eau claire que le grand Saint-Médard [2], ton collaborateur, te soit en aide demain et il n’y a pas de raison pour que le déluge ne s’en suive pas.
Jour, Toto, je vous aime, moi, et je ne veux pas que vous soyez BÊTE, ça m’humilie. Voime, voime, Manzelle Chichi ne bas fouloir que son Dodo zoit heine PÊTE [3].
Et vos zaricots, comme vous êtes bien venu les manger. Et l’autre chose, comme vous êtes bien revenu pour la faire ? Oh ! vous êtes un homme charmant, un délicieux pair de France, un délirant académicien. Rien n’y manque. Votre ramage se rapporte à votre plumage, mais vous n’êtes pas le phénix des AUTRES de mes bois. Taisez-vous et rougissez si vous pouvez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 269-270
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « des gobes-mouches ».
b) « autre lieux ».


7 juin [1845], samedi après-midi, 2 h. ¾

Vous êtes mon mignon chéri, vous êtes mon cher adoré que je baise et que j’adore, vous êtes mon gros crédule dont je prends la liberté de me moquer. Tant pis pour vous. Pourquoi ajoutez-vous foi à tous les canards qui passent sous vos yeux depuis les Corsaires du Rhône jusqu’à La Somnambule de Longjumeau  ? C’est bien la peine d’être le plus grand de tous pour être aussi facile à attraper que le plus bête. Taisez-vous qu’on vous dit. Je vais prendre un bain pour me rafraîchira la bile.
À propos de bile, Mme Guérard vient de m’envoyer un bouquet fané, je ne sais pas en l’honneur de quel saint ou plutôt, je le sais parfaitement. C’était pour me recommander une vieille femme encore plus fanée et parfaitement sale. Je pense qu’elle n’avait pas d’autre moyen de se débarrasser d’elle et de lui, et que c’est pour cela qu’elle me les a envoyés, car elle sait très bien que je n’aime que les bouquets frais et que je ne connais personne à qui je puisse colloquerb sa vieille femme. Enfin j’ai reçu les deux, l’une portant l’autre, avec calme et sérénité et je leur ai promis ma puissante protection. Voilà, mon petit Toto, comme je me tire des pas les plus difficiles. Baisez-moi, cher scélérat, et aimez-moi, vous en avez le droit. Vous avez même celui de venir me tirer de l’onde si le cœur vous en dit. Je me laisserai faire en femme soumise et respectueuse. En attendant, je vous adore, baisez-moi dans toute l’acceptionc du MOTTE. Je vous le permets.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 271-272
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « raffraîchir ».
b) « coloquer ».
c) « l’aception ».

Notes

[1Juliette joue avec les mots et fait référence au Postillon de Longjumeau, opéra-comique en trois actes, livret d’Adolphe de Leuven et Léon Brunswick, musique d’Adolphe-Charles Adam, représenté pour la première fois au théâtre de l’Opéra-Comique, le 13 octobre 1836.

[2La Saint-Médard est célébrée le 8 juin.

[3Juliette imite l’accent allemand : « Mademoiselle Juju ne pas vouloir que son Toto soit une BÊTE ».

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