Guernesey, 20 février 1860, lundi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, ne bougez pas car il fait trop froid. Décidément l’hiver ne finira jamais à en juger par ce qui se passe dans le ciel depuis hier : grêle, neige, vent et glace. Nous avons joliment bien fait de profiter du petit rayon de soleil d’hier pour notre promenade, mon cher bien-aimé, car Dieu sait maintenant quand nous pourrons en refaire une autre. Il est vrai que la saison est capricieuse et qu’elle change souvent d’humeur. Mais nous n’en avons pas moins bien fait de mettre la petite gaieté d’hier à profit. J’espère que cela aura fait diversion à tes douleurs de cœur. En attendant tu fais répéter ta troupe qui n’a pas dû avoir très chaud dans le salon bleu surtout s’il n’y avait pas de feu [1]. Du reste il paraît que cela va très bien d’après le dire de Kesler lui-même. Kesler l’homme littéraire, Kesler le grand artiste, Kesler le beau, le délicat, le difficile et le supérieur. Tant mieux j’en suis charmée pour ce bon Charles, pour toi que cela intéresse, si non amuse davantage encore plus que tout le monde. J’applaudis d’avance et de confiance au succès de la représentation et j’applaudis la pièce par un tas de baisers sur tes deux joues.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 29
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette