Guernesey, 15 septembre 1859, jeudi matin, 8 h. ¼
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour. Je t’ai déjà baisé des yeux et de l’âme à travers ta fenêtre fermée. Est-ce que tu n’as pas bien dormi, mon cher petit homme, que tu es déjà levé et attablé en tête-à-tête avec toi-même ? Tu me diras cela tout à l’heure, mais d’ici là tu fais bien de tenir ta fenêtre fermée contre le brouillard. Du reste, le temps commence à se lever et la journée promet d’être belle et digne de la fête qui se prépare en ton honneur. Quant à moi, je fais des vœux pour que tu t’amuses beaucoup et pour que la galanterie de ton Charles [1] ait un plein succès et que tout le GOUM soit parfaitement heureux. Pendant ce temps-là, je ferai mes comptes, chose toujours fastidieuse pour tout le monde et encore plus pour [moi]. Notre petite soirée hier a été un peu languissante grâce au sérieux maladif du pauvre M. Guérin et à l’épatement langoureux du gros Quesnard qui se croit obligé d’être l’amoroso des bas bleus de Mme Colet. Quant à Marquand, rien n’existe pour lui que le loto ; le loto seul est aimable ; sans loto, Marquand n’est qu’un zéro sans boule. Quant à toi, mon adoré, tu as fait des efforts généreux pour soulever tous ces esprits endormis sans pouvoir y parvenir pendant que je t’aimais et que je t’admirais.
Juliette.
Bnf, Mss, NAF 16380, f. 205
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette