17 juillet [1844], mercredi soir, 6 h. ¼
J’ai beau te désirer, mon adoré, cela ne te fait pas venir plus vite, aussi, j’ai envie de faire tout le contraire pour voir si l’attraction en sera plus grande. Hélas ! Je le voudrais que je ne le pourrais pas, il faut que je me résigne au sort que tu me fais et que je tâche de ne pas t’importuner et t’ennuyera de mes doléances éternelles…
J’ai vu Mme Luthereau tantôt, elle était très guillerette et elle m’a fait mille compliments sur son mari, et de la part du susdit. En même temps, elle m’a fait un petit cancan sur un certain ex-feuilletonisteb du Globe [1] que Vacquerie a remplacé. Je te conteraic cela ce soir, c’est parfaitement grotesque et insignifiant, du reste. Si je te voyais et si je n’avais pas un mal de gorge hideux, cela me serait parfaitement égal puisque cela me l’est quand même. Mais je ne vous vois pas et je peux à peine avaler ma salive, voilà ce qui m’attriste et me fait souffrir.
Jour Toto, jour, mon cher petit o adoré, jour onjour. Que faites-vous, à qui pensez-vous et qui aimez-vous dans ce moment-ci, je voudrais le savoir. Votre protégée [2] est-elle déjà sur la grande route de Paris ? Êtes-vous allé au-devant d’elle ? Que faut-il que je pense de vos admirations et de votre absence ? Dites-le moi une bonne fois pour toutes et je verrai ce que j’ai à faire. En attendant, je souffre et je suis triste comme un pauvre chien. Baisez-moi, monstre d’homme, et prenez garde à vous. Tout l’arsenic de la nature n’est pas resté dans le département du Gers [3], je vous prie de le croire.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16355, f. 269-270
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette
a) « ennuier ».
b) « feuilletonniste ».
c) « compterai ».