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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 juin [1844], dimanche matin, 11 h. ½

Où tu es mon Victor bien aimé, sens-tu ma pensée, mon âme, ma vie qui te contemplenta, qui te caressentb et qui t’adorentc ? Je suis avec toi, mon adoré, je te suis, je te garde, je t’admire, je baise tous tes pas, je respire ton souffle, je me mire dans tes beaux yeux si doux. Je ne sais pas quand je te verrai des yeux du corps mais je sais que je ne te perds pas une seconde de vue de l’âme. Je te dis cela tout bêtement parce que je ne sais pas parler. Je ne sais que t’aimer, c’est ma seule et incontestable supériorité et je défie le bon Dieu lui-même de faire une femme qui t’aime autant. Quelle charmante soirée nous avons passée hier, mon Toto adoré ; quelle joie, quelle douceur et quel ravissement dans ces cinq ou six heures d’amour et d’intimité. Qu’est-ce que je n’aurais pas donné, mon Dieu, pour la prolonger, cette soirée, encore cinq ou six heures ? Des années et des années de ma vie. Et toi, mon adoré, as-tu été bien heureux aussi ? As-tu senti ton pauvre cœur se détendre et se calmer dans cette atmosphère d’amour et d’adoration ? Je voudrais savoir cela, je voudrais savoir comment tu vas ce matin, je voudrais te voir, je voudrais te baiser partout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 211-212
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « contemple ».
b) « caresse ».
c) « adore ».


30 juin [1844], dimanche soir, 11 h.

Je suis furieuse contre toutes ces pauvres vieilles péronnelles [1] qui n’en peuvent mais, mais qui sont cause que je ne t’ai pas vu autant peut-être que je t’aurais vu si j’avais été toute seule. Je suis furieuse, furieuse et furieuse, Juju est très vexée.
J’ai là une lettre de Mme Luthereau apportée par son mari, du moins je le pense, et contenant un paquet d’aiguilles que je sens à travers l’enveloppe. J’ai eu la discrétion de ne pas l’ouvrir. Voilà comme je suis héroïque, moi, sans en avoir l’air. La seule chose pour laquelle je n’ai pas le moindre héroïsme et la plus petite philosophie, c’est de ne pas vous voir. J’avoue que lorsque j’en perds une goutte par la faute de n’importe quoi, je suis furieuse et enragée. Aussi, ce soir, je n’étais rien moins que drôle avec toutes mes vieilles filles, dont une vieille femme, je ne sais pas si elles s’en sont aperçues, mais je m’en fiche supérieurement. Mais, tant que vous ne serez pas venu, je ne décolèrerai pas. Quelle différence de cette soirée avec celle d’hier ! De ce temps si hideux au beau ciel bleu d’hier ! Cependant, nos cœurs sont les mêmes, le mien surtout, mais l’amour se suit et se ressemble mieux que les jours et que les événements.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 213-214
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Les amies de Juliette Drouet.

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