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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 février [1844], mercredi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour mon adoré petit homme, bonjour, bonjour je t’aime et je te baise malgré l’affreuse haleine dont m’a ornée le goût maçonnique de ma servarde. Il est impossible de trouver un ragoût plus puant et plus insupportable que celui qu’elle m’a fricotéa hier. Et pour comble de bonheur j’en ai au moins pour trois jours ! Je ne sais pas ce que je deviendrai car il est bien reconnu maintenant que la pomme de reinette ne désinfecte pas. Je suis furieuse ! Que le diable emporte cette pauvre Suzanne.
Jour Toto, jour mon cher petit o vous mangez des oranges, vous, comme un cher petit homme élégant et parfumé que vous êtes. Moi je mange de l’ail comme une vieille bonne femme que je suis. Tout cela ne va guère bien ensemble si ce n’est au point de vue espagnol. Je n’ose plus te baiser, vraiment je crains de t’asphyxierb même en paroles. J’aime mieux parler d’autre chose…
Il fait bien beau encore aujourd’hui, mon amour, mais je ne compte pas sur la même aubaine d’hier. Le soleil ne luit pas pour moi deux jours de suite. Fichtre, il s’en donne bien de garde. La femme et son cadre n’ont pas encore paru à l’horizon [1]. Peut-être sera-ce pour ce soir. Je regretterais pour toi cette occasion si tu ne devais pas l’avoir car il est vraiment très beau. Attendons, il est peut-être en route, qui sait. Je vous aime, mon petit Toto. Je vous adore, mon cher petit homme. Je baise vos pieds sans oser m’élever plus haut.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 229-230
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « fricotté ».
b) « asphisier ».


28 février [1844], mercredi soir, 8 h.

Je m’en veux beaucoup, mon Toto, d’avoir été maussade et stupide ce soir. Je ne m’explique pas à moi-même cet accès de mauvaise humeur. Peut-être à mon insu, avais-je en effet marché sur quelque ERMITEa du marais. Cela t’a donné l’occasion d’être bon comme toujours mais pour moi je me trouve la plus méchante et la plus bête des Juju. J’en ai le droit et j’en use. Si j’osais je me ficherais des coups.
J’ai toujours ma senteur d’ail, je l’aurai encore pendant trois jours [2]. Le fricot étant fricoté, il faut le manger quelle queb soit d’ailleurs l’infection qu’il exhalec mais j’espère que ma maritorne [3] se le tiendra pour dit à l’avenir et qu’elle ne recommencera pas la même plaisanterie. Jour Toto, jour mon cher petit o, je suis bien aimable, n’est-ce pas, et je sens bien bon ? Ia, ia, mamzelle Chichi bue gomme un rat mort et elle est aimaple gomme un pas de laine [4]. Eh ! bien tant mieux ça ne vous regarde pas. Je veux être bête et méchante moi.
Personne n’a le droit de m’en empêcher. Baisez-moi tout de suite ou sinon je vous mords.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 231-232
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « ermitte ».
b) « quelque ».
c) « exale ».

Notes

[1À élucider.

[2Juliette a mangé la veille un ragoût à base d’ail préparé par Suzanne et lui laissant une odeur buccale désagréable et persistante.

[3Maritorne : femme sale et laide.

[4Imitation de l’accent allemand pour « Oui, oui, Mademoiselle Juju pue comme un rat mort et elle est aimable comme un bas de laine. »

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