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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 janvier [1844], mercredi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé. Bonjour mon adoré petit homme, bonjour. Je te baise depuis la tête jusqu’aux pieds.
Voilà un bien vilain temps pour envoyer ce pauvre Toto [1] au collège. J’espère que vous aurez été prudent et que vous ne l’aurez pas risqué sans de bonnes raisons ?
Moi j’ai un affreux mal de tête mélangé de douleurs d’oreilles et de torticolisa : je ne vaux pas deux sous ce matin. Heureusement que je n’ai que cela à faire, aussi je m’en acquitte très bien. Je voudrais, mon Toto bien aimé, être cul-de-jatte paralytique et fiévreuse, et que toi et tous les tiens vous soyez à l’abri de tous les maux pendant toute votre vie. C’est bien bien vrai ce que je te dis là, mon Toto. Cela ne m’empêche pas de désirer te voir et de trouver le temps mortellement long déjà.
Je vous dirai, mon Toto, que par respect pour notre verrou, je suis restée sans veilleuse toute la nuit. Ce petit incident qui n’a l’air de rien m’a pourtant tenue éveillée une bonne partie de la nuit et je suis sûre qu’il n’entre pas pour peu dans mon mal de tête ce matin. Voilà trois fois, en très peu de temps, que je me dévoue pour votre tranquillité, scélérat, sans que vous m’en ayez la moindre obligation. Je vous en demande pas non plus. Seulement je mettrai la boîte aux veilleuses dans ma chambre, je tâcherai de n’avoir pas d’eau à me jeter dans ma chemise et je ne dînerai jamais chez la mère Pierceau. De cette façon, je viendrai peut-être à bout de ne pas passer des nuits blanches et de ne pas me faire mettre à la porte par les épaules. Baisez-moi, monstre d’homme, je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 35-36
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « torticoli ».


7 h. ¼ du soir, mercredi [10] janvier [1844]

Plus j’y pense, mon Toto, et plus je suis convaincue de la nécessité de t’abstenir vis-à- vis de M. Pradier. Il n’attachera de prix à t’avoir qu’autant que tu te feras valoir. Avec un autre homme ce serait différent mais avec M. Pradier les délicatesses de procédés et les générosités sont tout à fait inutiles. Il ne les comprend ni ne les apprécie qu’autant qu’on lui en démontre la valeur. D’ailleurs il y a justice à ne pas prodiguer l’estime et la considération à celui qui ne mérite rien moins que cela : s’il veut partager cette auréole de distinction et de gloire dont tu entouresa tous ceux qui ont l’honneur de t’approcher, il n’a qu’à le mériter. Tu serais de moitié dans les torts que M. Pradier a envers moi et envers sa fille si tu agissais autrement. Tu sais tout cela mieux que moi, mon Toto, et si tu ne te l’es pas dit plus tôt c’est qu’à ton insu il y avait peut-être quelque attrait pour toi à aller dans cette maison. J’ai le cœur plein d’amertume et de jalousie. J’ai peur de tout, même de cette femme [2].
Je suis restée une heure entre cette ligne et l’autre pour donner le temps à mon pauvre cœur de se dégonfler. J’ai préféré verser le trop plein de mon mépris et de mon indignation par mes yeux que par ma plume. J’ai préféré mouiller mon mouchoir que salir mon papier. Maintenant je suis calme, mon Toto, et je te remercie de me laisser maîtresse de tes visites chez M. Pradier. Je t’en remercie du fond du cœur et je t’aime mon Victor adoré. Je t’aime, entends-tu ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 37-38
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « entoure ».

Notes

[1Juliette fait ici référence à François-Victor Hugo.

[2Juliette Drouet éprouve de la jalousie envers la femme de James Pradier

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