28 décembre [1842], mercredi soir, 5 h. ¼
Je t’écris, mon adoré, en attendant un bain que je vais faire demander. Je n’ai pas vu le moindre Ledon [1], ce qui m’afflige peu, attendu le projet que j’avais de me tremper dans l’eau chaude. Eh bien, depuis que tu es parti, mon Toto, je n’ai pas eu un moment à moi et je n’ai rien fait. La blanchisseuse, les marques à faire à ton linge et au mien, tout cela m’a retenuea jusqu’à présent, y compris une lettre que je viens d’écrire à ma sœur et à son mari pour les prévenir de l’avoir de la caisse, pour les remercier et pour leur dire la non-arrivée de la cocotte dans le cas où elle aurait été expédiée et égarée. Je tenais à leur envoyer cette lettre le plus tôtb possible à cause de l’époque de l’année. Maintenant, cela me donnera plus de loisir pour faire emballer les livres [2] et les quelques petits brimborions que je tâche de rassembler de ci et de là. Je lui ai dit que tu avais vu Marmier et je lui ai demandé des renseignements détaillés sur la place qu’il désire. Enfin, voilà la lettre partie, j’en suis bien aise car le temps me pressait pour ces pauvres gens si empressés et si affectueux. Mon Toto, mon Toto, je vous trouve décidément trop beau et trop coquet. Et comme je sais très bien que ce n’est pas pour moi et cela me donne fort à penser, je demande mon laissez-passer [3] avec fureur. Je veux vous surveiller de près, je ne suis pas la dupe de tous ces faux semblants de vertu. Je veux vous voir de mes propres yeux au milieu de toutes ces cocottes sans queues. Je veux voir de quelle maxime vous usez envers elle. J’y tiens beaucoup, je vous en préviens. Je veux mon laissez-passer ce soir même. Je le veux, entendez-vous bien. Avec votre petit air ravissant, je vous crois capable de tous les crimes. C’est mon opinion. Cependant, je dois convenir que voilà deux bonnes matinées que vous me donnez de suite et que je serais un monstre si je ne vous disais pas toutes la joie et tout le bonheur qu’ellesc m’ont donné. Mon cher petit bien-aimé, j’ai été la plus heureuse des femmes ces deux jours-ci. Tu vois bien que cela dépend de toi, ainsi ne sois pas si longtempsd à venir. Si tu m’aimes, tu dois souffrir de me voir triste et malheureuse comme je l’étais pendant tous ces derniers temps.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 331-332
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « retenu ».
b) « plutôt ».
c) « elle ».
d) « long-temps ».