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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 novembre [1842], mercredi matin, 10 h.

Bonjour mon Toto bien aimé. Comment vas-tu ce matin, mon amour chéri ? Il fait bien froid, prenez garde à vous, mes chers petits amis frileux, n’allez pas vous enrhumer ni avoir des chiragreries [1], parce que je ne le veux pas et que je vous ficherai des coups.
La Cocotte est décidément une très capricieuse et très méchante Cocotte car elle vient de venir pendant que je t’écrivais me mordre à la lèvre. Je l’ai tout de suite rebouclée dans sa cage mais il est triste de penser qu’en si peu de temps cette petite bête soit devenue aussi féroce, d’aussi douce et d’aussi caressante qu’elle était. Si cela devait continuer, je n’en aurais pas plus de plaisir qu’avec Jacot. Merci !!!!!!!!! a Je vais écrire tout à l’heure à mon beau-frère et je lui dirai la méchanceté de la Cocotte afin qu’il s’informe à celui qui l’a vendue s’il y a un remède contre l’antipathie. Je lui demanderai aussi combien elle coûte afin d’en rembourser le prix pour ne pas gêner ces pauvres gens. Je ne sais pas si tu pourras me conduire tantôt chez mon père [2], mon cher ange, car tu travailles beaucoup et que c’est très bien. Enfin tu feras ce que tu pourras, mon amour, j’en suis sûre. Je t’aime, mon Victor chéri, et je sais que je mourrai le jour où tu ne m’aimeras plus. Maintenant, ne va pas au théâtre sans moi et ne cherche pas à plaire parmi ces femmes ni parmi aucunes autres. Tu ne sais pas, mon pauvre ange, parce que tu ne m’aimes pas comme je t’aime, combien cette crainte me désespère et me décourage. Mon Victor, soisb moi bien fidèle, de corps, de pensée et de cœur. Tu ne veux pas que je souffre et que me tue.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 207-208
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) Les points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.
b) « soit ».


9 novembre [1842], mercredi soir, 4 h. ½

Décidément, cette Cocotte vient mettre le trouble dans mon ménage et je ne sais qui me tient de la renvoyer parmi les bêtes féroces dont elle n’aurait jamais dû sortir. Si elle ne s’amende pas, si elle ne devient pas douce comme un mouton, je la prierai de rester chez vous et de n’en pas sortir. Elle n’a plus dit un traître mot depuis que vous êtes parti, il n’y a pas de danger. Quelle affreuse scélérate ! Cette Cocotte est décidément un vrai monstre.
Je trouve que tu as joliment bien fait de ne pas accepter la proposition de Jauffret [3]. Il est bon que tout le monde te doive de la reconnaissance et il est noble et digne à toi de n’accepter que celle du cœur et non celle qui vient de la bourse. Je ne vous vois plus maintenant, mon cher bien-aimé, depuis que je mets obstacle à vos AMOURS je ne vous vois plus. C’est bien charmant en vérité. Aussi, soyez tranquille, j’en ai écrit de bonnes sur le compte de votre belle, dans peu de temps tout le monde saura votre infâme conduite à tous les deux. Taisez-vous méchant homme. Que dis-je, méchant homme, c’est méchant COCO d’une plus méchante cocotte encore. Je suis bien fâchée, mon pauvre ange, que tu n’aies pas pu me mener chez mon père aujourd’hui. Ne crains-tu pas que ça n’aita l’air, aux yeux de ce pauvre malade, d’une bien froide et bien triste indifférence pour son état moral et physiqueb ? Demain, jour d’Académie, tu ne pourras pas encore m’y mener, mais tâche au moins de ne pas manquer vendredi. Je t’en prie bien, mon adoré, et je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 209-210
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « n’est ».
b) « phisique ».

Notes

[1Chiragre : personne souffrant de goutte à la main, ce qui est le cas de Victor Hugo, qui a notamment eu une attaque de goutte en août.

[2L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est gravement malade. Juliette, qui le chérit et l’appelle son père, a à cœur d’aller lui rendre visite régulièrement.

[3Depuis février 1838, Charles et François-Victor Hugo sont pensionnaires à l’Institution Jauffret, rue de Sévigné, d’où ils vont suivre les cours du collège royal de Charlemagne (Voir Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo, t. I. Avant l’exil, 1802-1951, Fayard, 2001, p. 771).

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