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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mars 1837

11 mars [1837], samedi, midi ¼

Jour, mon cher bien-aimé. Je t’aime, mon Loto. Je ne suis pas méchante, je ne suis que triste. J’ai beaucoup d’amour et pas du tout d’humeur.
Je me suis couchée hier avec le mal de tête, je me relève avec le mal de tête. Il est vrai que le temps est singulièrement propice à ce genre de mal. Mon cher bien aimé, si je peux te voir aujourd’hui un peu plus qu’hier, je serai très geaie et très heureuse. Cependant, si tes occupations ne te le permettent pas, je te promets d’être très courageuse et très résignée. J’ai beaucoup mal aux yeux, je suis sûre que c’est vous qui me l’avez donné, méchant petit homme, aussi je vous regarderai à l’avenir de deux mauvais œils.
Je pense avec amour et tristesse, mon cher adoré, au nouveau surcroît de travail que tu t’es imposé. Je me consume en réflexions inutiles pour savoir si je n’ai pas un moyen de t’aider dans cette circonstance. Pauvre cher bien-aimé, quelle tâche que la tienne, et quel fardeau tu as pris en acceptant mon triste passé. Ce n’est certainement pas ton dévouement qui est cause de l’amour sans borne que j’ai pour toi, mais ma vénération profonde et mon admiration viennent de ta noble et généreuse conduite à mon égard.
Je te le répète sans cesse parce que [je  ?] sens ainsi que je voudrais donner ma vie pour toi ou les tiens afina d’avoir aussi mon coin de dévouement ; malheureusement pour moi, tu n’auras jamais besoin de mon service, encore moins de ma vie, ce qui est un grand motif de découragement pour moi.
Je t’aime trop. J’ai trop besoin de me consacrer à toi. L’amour ordinaire ne suffit pas à tous mes besoins. Il me faudrait tous les genres de dévouement, et encore mon cœur déborderait du trop plein de son amour.
Que faire en attendant ? T’aimer toujours et t’aimer encore, et laisser couler tranquillement mon amour qui retourne sans cesse à mon cœur, comme le fleuve à la mer sans en avoir perdu une goutte en route. Ainsi je fais et te baise mille et mille fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 263-264
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « à fin ».


11 mars [1837], samedi soir, 7 h. ½

Mon cher petit bijou d’homme, vous êtes mon Toto bien aimé. J’espère que vous ne me ferez pas le chagrin inconsolable d’écrire d’autres vers que ceux déjà imprimés. Je vous répète cette prière parce que je sens vraiment que ce serait pour moi un chagrin des plus vifs et que je compte sur votre bonté ordinaire pour me l’épargner.
J’espère encore que demain à cette soirée vous aurez l’extrême bonté de venir me voir, car je me tiendrai bien au fond de la loge et je vous promets de ne regarder et de n’écouter que vous tout le temps que vous serez avec moi ; comme je vous promets de ne penser qu’à vous tout le temps que vous serez forcé de passer loin de moi. Toujours : donnant, donnant.
Je t’aime, mon cher cher amour, je t’aime de toute mon âme ; je n’ai que le désir de te plaire. Je donnerais les trois quarts de ce qui me reste à vivre pour être sûre d’être aiméea de toi. L’autre quart, il est malheureux que ça ne se puisse pas faire ainsi, il y a déjà long temps que j’aurais conclu le marché.
Mon petit Toto chéri, je me tiendrai bien au fond de la loge et dans le coin le plus noir, et avec le plus grand plaisir ; de ton côté tu seras bien loyal et bien honnête envers moi et tu viendras le plus possible dans ma loge [1]. Je te donne même une prime, celle de me faire tout ce que la pudeur te permettra devant [ces  ? les  ?] deux femmes et même au-delà, de me tâter tous les endroits connus et inconnus à ton choix. Enfin je me livrerai à toi corps et âme devant Dieu, devant les hommes et les femmes et les demoiselles s’il y en a. En attendant je te baise toi, tes cheveux, ta bouche et ton petit doigt.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 265-266
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « aimé ».

Notes

[1Le lendemain, Juliette ira voir la reprise de La Esmeralda (1836), opéra de Louise Bertin adapté de Notre-Dame de Paris, sur un livret de Victor Hugo.

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