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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 février [1837], mardi soir, 4 h. ½

J’attendais avec bien de l’impatience, mon adoré, de pouvoir tenir une plume entre mes griffes pour te dire un peu combien je t’aime, combien tu as été adorablement bon et dévoué, doux et patient dans cette petite maladie. Combien ton adorable petite lettre ANNIVERSAIRE [1] m’a mis de baumea dans le cœur et de guérison au corps.
J’attendais avec impatience de pouvoir tremper mes doigts dans l’encre afin de laisser se déteindre un peu de mon âme sur le papier. Car sans reproche, mon adoré, depuis que je ne suis plus à la mort, vous me délaissez furieusement. C’est à peine si je vous vois un quart d’heure en deux fois tous les jours. Aussi après vous avoir fait tous les compliments que méritaient les bons soins que vous m’avez donnés, je me plains amèrement à présent de l’abandon dans lequel vous me laissez. Si cela devait continuer j’aimerais mieux redevenir malade et mourir mille fois et que vous soyez auprès de moi. Dans tous les cas, mon amour, je me dépêche d’avaler [semoule sur semoule  ?] pour vous forcer À VOUS DÉCLARER d’une manière énergique. Je n’ai pas renoncé à mon droit d’aubaine anniversaire.
J’y tiens comme rache, je vous en préviens et je veux que vous me le payiez avec tout l’arriéré à la première sommation qui sera très prochaine si j’en juge par le désir que j’en ai. En attendant je tiens à votre disposition tout ce que j’ai de vie, de santé et d’amour plus cinq brosses, trois vergettes, une baguette à battre les habits et deux plumeaux, avec lesquels vous pourrez brosser vergetter, battre et épousseter tous les coins de votre petite personne dans lesquels il seb serait déposé des baisers, des caresses, de l’amour et autres ordures dont je suis COUVERTE.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 189-190
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « beaume ».
b) « ce ».


21 février [1837], mardi soir, 7 h. ½

Ne t’afflige pas, mon adoré, ne t’afflige pas. Je ne te donnerai pas de consolation, tu en as de meilleures et de plus efficaces dans toi, mais je partage ta tristesse. Tout ce qui t’attriste m’attriste, tout ce que tu aimes je l’aime, tout ce que tu regrettes je le regrette. Si je te conjure de ne pas t’affliger, ce n’est pas que je craigne de prendre ma part de ton chagrin, mais c’est parce que je crois que ton pauvre frère ne consentiraita pas à présent à revenir à la vie aux mêmes conditions qu’auparavant. Aussi mon bon ange, c’est pourquoi je regarde sa mort [2] plus tôt comme un bienfait que comme un malheur.
Pauvre frère.
Je t’aime mon Victor adoré, c’est surtout quand quelque malheur te rapproche de ma pauvre nature, que je sens que je t’aime de l’amour le plus vrai et le plus épuré.
Tâche de venir ce soir de bonne heure. Je te caresserai des yeux et de l’âme sans faire de bruit, et puis [tu] te reposeras auprès de mon feu, et puis tu appuieras ta petite tête chérie sur mon épaule, et puis tu liras, et puis je serai bien heureuse.
Je suis jalouse de cette femme qui s’est permis de volera tes vers [3], car on ne [prend  ? perd  ?] pas des choses comme celles là. C’est doublement mal à elle, car elle te redonne la peine de les écrire et à moi le tourment de la jalousie. Je ne veux pas que tu la voies jamais, entends-tu bien ? Ô je t’aime ! je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 191-192
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Massin]

a) « consentirais ».

Notes

[1Voir lettres du 16 février 1837.

[2Eugène Hugo, frère aîné de Victor Hugo, né en 1800, meurt le 20 février à Charenton après quatorze années d’internement. Sa folie s’était déclarée à l’époque du mariage de Hugo, en 1822. Il avait été interné en 1823.

[3À élucider.

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