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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er décembre 1837

1er décembre [1837], vendredi midi

Bonjour mon cher adoré, bonjour mon cher petit homme. Je t’écris de mon lit, non par paresse, mais par économie car j’ai très froid et je ne veux pas allumer mon feu avant ce soir. Je veux tâcher d’avoir assez de bois pour toute notre année.
Je ne vous fais pas de reproches ce matin de peur que vous ne les preniez au sérieux. Excepté le regret bien vif et bien vrai de ne pas vous voir, mon cher petit bien-aimé, tout le reste n’est qu’une manière de plaisanter plus ou moins ingénieuse. Mais je t’aime et voilà tout.

BnF, Mss, NAF 16332, f. 119
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


1er décembre [1837], vendredi après-midi

Conçois-tu mon cher adoré cette mystification qui consiste à trouver Mme Pierceau prête à partir à l’Odéon dont c’est l’ouverture ce soir [1]. Et comme il faut qu’elle aille chercher Mme Trigera pour l’accompagner, me voilà seule dans sa chambre avec la perspective d’y rester jusqu’à minuit. En vérité, il faut que la crainte de te contrarier ou de t’inquiéter soit bien forte pour m’imposer un si rude ennui. C’est une occasion de te prouver à quel point je t’aime, mais en vérité j’aimerais autant te le prouver d’une manière plus agréable pour tous les deux. Pour comble d’absurdité, la pendule ne va pas de sorte que je ne sais pas l’heure et que comptant avec mon impatience je croirai qu’il est 2 h. du matin quand il en sera 6 du soir. Très amusant. Il n’y a qu’à moi que de pareilles aventures arrivent. Encore si tu pouvais avoir la bonne idée de venir voir ce qui se passe comme l’autre soir, ce ne serait que demi-mal, et j’en serais quitte pour trois ou quatre heures de mystification, ce qui est bien assez pour une simple femme comme moi. Enfin, à la grâce de Dieu. Je t’aime, voilà ce qui me console. J’espère que tu m’indemniseras de tout cela quand tu auras perdu ton procès [2]. En attendant je fais contre fortune bon cœur en priant le ciel de t’envoyer à ma très prompte délivrance.
Soir pa, soir man. Je vais dormir. Je dors.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 120-121
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « Trigé ».


1er décembre [1837], vendredi soir

Par un autre hasard un peu moins malencontreux pour moi que le premier, Pierceau n’a pas trouvé Mme Trigera disposée à sortir de sorte qu’elle est revenue au moment où nous allions nous mettre à table. Quand je dis nous je parle du petit garçon [3]. Enfin me voilà un peu moins vexée de ce que Mme Pierceau l’est un peu plus. Ainsi va le monde. Il faudrait, pour que ma victoire fût complète, il faudrait que tu vinsses me chercher à présent même. Je ne dis pas à quelle heure car comme tu le sais il n’y a pas d’heure [4].
Je n’ai encore pu parler de rien et peut-être ne parlerai-je de rien car elle me paraît d’aussi bonne humeur que je l’étais moi-même tantôt. Que je t’aime mon Victor adoré, que je t’aime. Je le sens mieux de jour en jour. Il me semble que je n’ai d’âme que depuis que je t’aime. Avant je vivais, voilà tout. Maintenant j’aime, c’est bien plus.
Pauvre bien-aimé, je ne m’excuse pas d’être bête comme tout parce que ce n’est pas ma faute et que d’ailleurs ça t’est bien égal. Qu’est-ce que tu en ferais ? Le verre le plus blanc et le plus limpide ne brille pas à côté du diamant. Il n’y a que l’amour qui soit rare et précieux et je t’en donne le plus gros morceau qui seb soit jamais vu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 122-123
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « Trigé ».
b) « ce ».

Notes

[1Le terme « mystification » circulait dans la presse et dans les salons à propos de la réouverture de l’Odéon, qui annonçait à grand bruit depuis six mois une pièce nouvelle pour sa réouverture. Finalement, on joua du Molière...

[2Allusion ironique au procès toujours en cours de Victor Hugo contre la Comédie-Française (voir la plupart des lettres du mois précédent ainsi que celles qui suivent). Après un jugement en faveur de Hugo (au Tribunal de commerce), la Comédie-Française a fait appel. L’affaire est portée devant la Cour royale de Paris ; l’audience est prévue le 5 décembre.

[3Il s’agit du fils de Mme Pierceau, que Juliette est amenée à garder de temps en temps.

[4Voir la lettre précédente : la pendule de Mme Pierceau chez qui se trouve Juliette est en panne.

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