Jeudi soir, 7 h. ½
Je vous ai à peine vu tantôt, je ne vous ai pas vu ce soir, et Dieu sait à quelle heure vous viendrez me prendre pour aller à Angelo, car je n’admets pas qu’on puisse finir une seule représentation sans moi. Et puis je ne suis pas fâchée de savoir au juste le temps que vous passez avec les comédiennes du seizième siècle et celles du dix-neuvième qui ne sont pas les moins dangereuses. Tenez, je suis presque aussi fâchée que triste. Je me suis bien promis de ne pas vous écrire une longue lettre cette fois-ci, pour vous apprendre à les laisser dans un coin, sans plus vous en occuper. Ma personne, mes lettres, tout est oublié ! Vous avez trouvé le moyen aujourd’hui d’être le plus aimé des amants et le moins aimable. Oh ! tu n’es embarrassé de rien, toi. C’est égal, je suis très triste. Vous me manquez ce soir, comme la pitance au pauvre prisonnier, à l’heure où il a coutume de la recevoir. Vous ne vous en inquiétez pas autrement, vous, vous laisser mourir mon âme d’inanitiona sans pitié. Vous ne m’aimez donc pas, dites ? Eh bien moi, je vous aime. Je t’aime mon Victor. Je te pardonne parce que j’espère que ce n’est pas ta faute et puis je t’aime.
Juliette
[Adresse]
À mon cher absent
BnF, Mss, NAF 16323, f. 249-250
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]
a) « ination ».