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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 septembre, lundi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon cher adoré. Comment vas-tu ce matin ? Es-tu moins accablé qu’hier, mon pauvre adoré ? Je n’ose pas te parler quand tu es auprès de moi, mon pauvre bien-aimé, je sens que je t’importune et que loin de te distraire et de diminuer ta douleur, je l’irrite par ma présence et par mes paroles. Je tâcherai de me vaincre devant toi, mon cher bien-aimé et de ne rien faire et de ne rien te dire qui te rappelle que je suis là, près de toi, que je souffre de tes souffrances et que je t’aime de toute mon âme.
J’espère que l’indisposition de Dédé n’est pas sérieuse et que tu m’apporteras de bonnes nouvelles d’elle tantôt. Claire n’est pas encore partie. Elle attend qu’on vienne la chercher. La pauvre enfant est bien enrhumée, on ne l’entend plus parler ce matin. Elle paraît en outre bien triste de me quitter et elle me prie avec larmes d’aller la voir bientôt. Pauvre chère enfant, que Dieu la bénisse et la conserve dans de bonnes dispositions d’esprit et de cœur. Je le lui demande en échange de ma vie si inutile dans ce monde.
Quand te verrai-je, mon Toto ? Tâche que ce soit le plus tôt possible. Te voir, pour moi, c’est le bonheur. Même quand tu ne me parlesa pas, même quand tu ne me vois pas. Je te vois, cela me suffit.
J’ai envoyé chez la penaillon. Elle vient de me répondre qu’elle va me faire un modèle pour toi, que tu l’essaieras et que s’il te va bien on continuera. Du reste elle croit que la flanelle croisée n’a pas d’autre inconvénient que de jaunir plus vite que la simple. Tu te décideras mon Toto pour ce que tu voudras.
Je t’aime mon Victor bien-aimé. J’ai le cœur bien gros mais je t’aime. Je suis triste et découragée mais je t’aime. Je donnerais ma vie pour deux liards mais je t’aime. Quand tu viendras, je tâcherai de ne pas t’impatienter par mes caresses. Mon pauvre amour, je te laisserai à ta préoccupation sans paraître la voir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 151-152
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « parles ».


25 septembre, lundi soir, 4 h. ¼

Quelle longue et quelle triste journée, mon adoré, dans le ciel et dans mon cœur ! Peut-être si je te savais heureux, mon pauvre bien-aimé, ne m’apercevraisa-je pas de la tristesse du temps mais je m’apercevrais toujours de ton absence, ce qui ne me rendrait pas plus gaie. Que fais-tu, mon cher petit homme ? Comment va ton pauvre œil et ton cher petit genoub ? Comment va ta petite Dédé ? Je pense à vous tous, mes pauvres bien-aimés, je souffre de vos maux, je souffre de votre absence. Je voudrais mourir puisque je ne vous suis bonne à rien. Mais je ne veux pas te parler de moi, mon Toto, encore moins me plaindre.
Ce qui m’occupe, mon amour, c’est toi, ce que je voudrais guérir et consoler, c’est toi. Quand te verrai-je, mon Toto chéri ? Je regarde l’heure à la pendule et je la trouve bien lente, au gré de mon impatience. Pourvu que tu sois moins accablé qu’hier. Je ne peux pas détacher ma pensée de ce que tu étais hier à ton [insu  ?] mon adoré. Tu te laisses aller à un abattement et à un désespoir effrayant. Tu ne peux pas savoir toi-même, mon Victor chéri, à quel point ce que je te dis est vrai. Mais je t’assure que je suis sérieusement tourmentée par ta santé. Si le bon Dieu ne vient pas à ton secours, je ne sais pas ce que nous deviendrons. J’ose t’écrire cela de loin, mon Toto, mais je n’oserais pas t’en parler car la douleur t’aigrit un peu le caractère. Toi si patient et si doux, tu m’as rudoyée hier très vivement parce que j’essayais de te distraire. Ce soir dans quelque état que tu sois, je garderai le silence, mon pauvre amour. Je tâcherai d’avoir la force de te voir souffrir et de résister à la tentationc de te consoler si c’est possible, ce dont je doute plus que jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 153-154
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « apercevrai-je ».
b) « genoux ».
c) « tention ».

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