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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 juin 1842

3 juin [1842], vendredi après-midi, 3 h. ½

Mon Toto chéri, mon Toto éblouissant, mon Toto ravissant, je t’aime, je suis heureuse. Je t’ai vu, je t’ai baisé, je t’ai possédé. Je suis la plus heureuse Juju qu’il y ait sous la calotte des cieux. Tu vois bien, mon Toto, que tu peux me rendre gaie quand tu veux. Si cela n’arrive pas plus souvent, ce n’est pas ma faute. J’espère que tu auras trouvé ton petit Toto de mieux en mieux, ce pauvre petit, baise-le bien pour moi. Claire est toujours furibonde de l’atroce plaisanterie dont tu l’assassines tous les jours. On voit qu’elle se mord la queue quoiqu’elle ne veuille pas en convenir et qu’elle rie sous le couteau. Il est vrai que je ne la ménage pas beaucoup et que les compresses que je mets sur sa blessure sont composées d’émollients, de vinaigre, de sel et de poivre, ce qui ne la calme que médiocrement. D’ailleurs je me plais au mal, je veux que tout le monde souffre autour de moi, c’est mon plaisir, c’est ma fantaisie. Je ressemble à un être cruel et sanguinaire de mes amis qui ne trouve de plaisir et de joie que dans les larmes et la douleur d’autrui. Je crois que vous le connaissez aussi cet être pervers et démoralisé, ce n’est pas une fameuse connaissance. Entre nous soit dit et sans aller plus loin, pourquoi, scélérat, n’avez-vous pas voulu me faire sortir tantôt ? Vous êtes aise que j’aie passé ma rage sur mes pauvres fleurs qui n’en peuvent mais et qui sont très capables d’en crever de chagrin et de pots cassés. Vous voyez bien que vous êtes un scélérat fieffé et même sans politesse, ainsi que l’a dit un GRAND POÈTE [1]. Je ne sais pas comment tu as le courage de lire tous les soirs les ravauderies stupides que je t’écris tous les jours mais pour moi je sais que cela me serait impossible, je suis bête à manger des fraises. Je ne sais que faire une chose, vous aimer, mais je peux me vanter que nulle autre au moins ne peut m’en remontrer à ce métier-là. Pour le reste, j’y renonce, ça n’est pas mon affaire. Sur ce, baisez-moi et aimez-moi ou je vous tue, prenez-y garde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 107-108
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Citation de la complainte de Fualdès.

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