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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 31 janvier 1853, lundi midi

Je regarde passer les promeneurs avec un soupir d’envie et de regret de ne pouvoir pas faire comme eux, avec vous, car je sais bien, que loin de vous opposer à mes promenades particulières, vous les favoriseriez de tout votre pouvoir, ne fusse que pour être débarrasséa de mon aimable personne. Mais je ne me prête pas à cette combinaison hideuse et je reste chez moi pour vous faire enrager. Telb est mon style. Je veux voir si vous aurez le front de me laisser crever dans mon coin sans me faire sortir une seule fois en six mois. Je sais bien que vous avez vos MACHINS pour prétextes, mais il faudra bien que vous finissiez par les FINIR. C’est là où je vous attends. Nous verrons ce que vous inventerez pour vous dispenser de me faire sortir en plein jour. D’ici là, je fais bonne mine à mauvais Toto, et j’ai l’air d’une Juju parfaitement commode, mais ne vous y fiez pas.
Tout cela, mon cher petit homme, veut dire que je vous aime comme un loup et que je bisque comme un chien de ne pouvoir pas profiter de cette belle journée avec vous. Oh ! Si je ne comptais pas sur une rabiboche monstre bientôt, je me rallierais à l’instant même à Madame Boustrapate [1] et à son nigaud Montijo d’homme [2]. Mais j’espère que vous ne pourrez m’échapper une fois votre livre fini [3]. C’est pourquoi je prends mon mal en impatience et que je vous attends de pied ferme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 117-118
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « débarassée ».
b) « Telle ».


Jersey, 31 janvier 1853, lundi midi ½

Pauvre bien-aimé, j’essaye de sourire de mon isolement pour te montrer que ce n’est pas le courage qui me manque. Mais je crains que tu n’aies bien des sujets d’inquiétude avec ton jeune Toto [4] Il y a juste un mois aujourd’hui que tu as tranché dans le vif de cette passion si mal et si peu partagée par cette demoiselle L [5]. Jusqu’à présent l’espoir qu’elle reviendrait bientôt avait calmé le chagrin de ton pauvre fils mais j’ai peur qu’il ne soit pas tout à fait résigné à la séparation radicale et, par conséquent, que les derniers soubresauts de son désespoir ne vous causent à vous-mêmes de bien douloureuses commotions. Il est vrai que la distance et l’excessive tendresse dont vous l’entourez amortiront beaucoup ce dénouement prévu par la raison et désirable sous tous les rapports. Dès que ce pauvre enfant pourra se rendre compte de sa situation, il sera le premier à se féliciter d’avoir été violemment arraché des griffes de ce rat musqué, mais, jusque-là, il ne faut pas l’abandonner à lui-même car Dieu sait ce que pourrait lui faire faire son reste de folie. Tu sais dans quel sentiment je te parle de ces choses intimes, mon doux adoré, tu sais que mon indiscrétion n’est que de la sollicitude et de l’affection bien dévouée pour toute ta famille. C’est ce qui excuse, à défaut de droit, la part que je prends à tout ce qui lui arrive d’heureux ou de malheureux. Et puis c’est une manière de t’aimer 4 millions de milliards de fois plus encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 119-120
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

Notes

[1Féminisation de Boustrapa : Un des sobriquets attribués à Louis-Napoléon Bonaparte, formé des premières syllabes de Boulogne, Strasbourg et Paris, trois lieux où il tenta des coups d’État.

[2Le mariage civil d’Eugénie de Montijo et de Napoléon III est célébré le 29 janvier 1853, le mariage religieux le lendemain.

[3 Hugo est en pleine rédaction des Châtiments.

[5Anaïs Liévenne (voir lettre du 1er janvier 1853, samedi matin, 8 h – note 1).

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