Jersey, 13 janvier 1853, jeudi matin, 9 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon pauvre éprouvé, bonjour, mon grand tourmenté, bonjour, mon sublime martyr, bonjour, je t’adore.
Il y a aujourd’hui un mois que ta pauvre femme allait chercher son fils [1] à Paris. Il y avait un an que j’étais allée te rejoindre à Bruxelles [2]. Depuis ce moment-là j’ai eu confiance en cette date redoutée et j’espère que cette fois encore, elle marquera dans ta vie un événement heureux pour toi et ton cher petit Toto [3]. Aussi j’attends avec tranquillité l’arrivée du bateau qui viendra probablement aujourd’hui, si le temps le permet. Mais dans cette prévision, mon doux adoré, et à cause des émotions que cela amènera nécessairement dans ton intérieur, tu serais bien bon et bien prévoyant en venant me voir avant l’arrivée du bateau. Car après je ne vois pas trop dans quel moment tu pourrais venir si ce n’est très tard et pendant quelques minutes seulement. Après cela, mon pauvre petit homme, fais comme tu pourras. Je ne veux pas te tourmenter par mes exigencesa, surtout un jour comme celui-ci. Je veux au contraire que tu ne te souviennesb de moi que pour y puiser du courage et des consolations et non pour te préoccuper de ma personne.
Je t’aime, mon Victor, je t’attendrai autant qu’il le faudra, trop heureuse si ma résignation vient en aide à ton bonheur. Je t’embrasse de l’âme et je t’adore avec tout mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16373, f. 49-50
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
a) « exigeances ».
b) « souvienne ».