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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mai 1842

20 mai [1842], vendredi matin, 11 h. ¼

Je t’ai écrit une lettre bien indécente hier mon Toto, je t’en demande pardon. J’avais le cœur triste, et dès que j’ai du chagrin cela me monte à la tête et je ne sais plus ce que je dis. Je t’aime mon Victor adoré, je t’aime plus que de toute mon âme, je t’aime à l’infini. Je ne suis heureuse qu’avec toi et par toi, juge de ce que je dois souffrir, moi qui te vois si peu. Mais tout cela n’était pas une raison pour t’écrire une lettre folle à l’occasion de la première communion de ce pauvre petit ange. Jamais, au contraire, je n’avais mieux senti la nécessité de ton absence pour moi que dans ce moment-là. Ce n’est pas non plus à cause de l’hommage publica qu’on t’a rendu en cette circonstance car Dieu sait si je te trouve digne de tous les honneurs, de tous les hommages et de toutes les bénédictions privés ou publics de la terre et du ciel. Non c’est que j’enviais le bonheur d’une autre femme qui n’est pas plus aimante, ni plus dévouée, ni plus fidèle que moi. Pardonne-moi mon Toto cet accès de jalousie stupide et aime-moi un peu mon adoré. Je t’attends, mon Toto chéri, je te désire mon amour. Viens, viens, mon Toto bien-aimé, je ne suis plus méchante, je ne suis plus....b Il ne faut pas mentir car je suis TOUJOURS JALOUSE mais c’est en-dedans et tu ne t’en apercevras pas. Viens donc bien vite mon Toto chéri et tu me combleras de joie. Je baise tes chers petits pieds adorés.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 59-60
Transcription de Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

a) « publique »
b) Les quatre points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.


20 mai [1842], vendredi soir, 9 h. ¼

Vous n’êtes pas revenu, mon amour, mais à votre place Mme Krafft est venue, suivie d’une charmante corbeille en tapisserie ornée d’un myrthe. Mais en vérité, quoique j’aime bien cette pauvre femme, quoique la corbeille soit jolie et que la fleur soit fraîche je n’ai pas pu prendre le change sur votre offense et j’ai été triste comme un pauvre bonnet de nuit. Elle croyait (Mme Krafft) que c’était aujourd’hui qu’on me souhaitait ma fête et elle pensait trouver du monde et à dîner chez moi ; au lieu de cela elle n’a trouvé que moi et une omelette pendante sur sa tête à cause du jour maigre. Je n’ai pas voulu cependant lui faire partager ce repas par trop orthodoxe et je lui ai improvisé une tourte au godiveau [1] et des petits pois. Du reste elle est partie de fort bonne heure ainsi que tu peux le voir par la date de ma lettre et encore ai-je compté ma dépense. Mon Toto bien-aimé plus je te désire plus je t’aime et moins je te vois. Je finis par avoir une tristesse et un découragement permanents qui ne me quittent plus. Je me figure que tu ne m’aimes plus et je sens ma vie qui s’en va par cette idée-là. Que faut-il faire, mon amour, pour que tu m’aimes, dis-le et je le ferai avec joie, quand ce serait de me tuer à l’instant même.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 61-62
Transcription de Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Godiveau : « Hachis composé de viande, de graisse de rognons de bœuf et d’œufs, ou de poisson, et utilisé comme farce pour des quenelles ou pour la garniture d’un pâté chaud. » (TLF)

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