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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 mai 1842

9 mai [1842] après-midi, 1 h.

C’est toujours pour la même chose mon adoré, que je ne t’écris pas en me levant. Je suis encore consternée car ma pauvre perruque s’en va d’une manière hideuse. Le perruquier m’assure que ce ne sera rien et que demain mes cheveux ne tomberont plus mais je n’ose pas croire à cette promesse. Il reviendra encore de midi à 2 h. pour me revisiter la tête encore une fois : Je te dirai plus au long ce qu’il m’a dit sur les divers machins qu’il a en vue et qui doivent amener un meilleur résultat. Je n’en crois rien et dans tous les cas je me refuse à tout espèce d’essai jusqu’à nouvel ordre. C’est assez prudent surtout après les deux ravissantes expériences que je viens de faire. Mais mon Dieu que vient donc de me dire Suzanne du chemin de fer de Versailles [1]. Si ce malheur est vrai il faut qu’il soit arrivé après le retour de Charlot puisque tu ne m’en as pas parlé. Quel hasard providentiel a protégé ton pauvre enfant. J’en remercie le bon Dieu avec effusion de cœur car la pensée d’un aussi affreux accident si près de ce pauvre enfant fait horreur. Que serait-ce donc s’il lui était arrivé quelque chose… Mon Dieu que vous êtes bon d’avoir préservé mon pauvre Charlot et toute sa chère famille d’un aussi horrible malheur. Soyez béni mon Dieu et bénissez tous ceux que j’aime et protégez-les toujours comme hier. Mon Victor chéri c’est lorsqu’il peut t’arriver malheur que je sens encore mieux combien je t’aime et comme bien tu es la vie de mon corps et l’âme de ma vie. Je baise tes chers petits pieds adorés et je t’attends avec impatience pour te caresser d’abondance.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 25-26
Transcription de Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette


9 mai [1842], après-midi, 3 h.

Je t’ai vu mon adoré, mais si peu que je n’ai pas eu le temps de prendre de la joie pour le reste de cette vilaine journée si pluvieuse, si froide et si triste. J’ai pourtant bien besoin d’un peu de bonheur pour me faire oublier mes atroces chagrins. Toi tu en [illis.] c’est possible mais j’en pleure et très sérieusement car ce qui m’arrive n’arrive à aucune femme de mon âge et de ma conduite. Je suis au désespoir mon Toto je t’assure que ce que je te dis ici est la vérité comme je la sens. Maintenant il ne faut pas que je te tanne avec mon idée fixe, c’est bien assez qu’elle ne me laisse pour un moment de repos sans t’en ennuyer indéfiniment ; parlons donc d’autre chose de plus drôle. Où alliez-vous tantôt que vous ne vous êtes pas donné le temps de m’embrasser, vous êtes bien pressé vilain monstre d’homme. Je voudrais bien savoir qui est-ce qui était sur vos talons pour vous faire courir si vite ?
Bon voilà qu’il repleut, pour peu que vous erriez dans ce moment-ci avec vos petits souliers d’étoffe et votre roséole vous n’attraperez guère de grippe et de rhume de cerveau, il sera dit que vous me ferez toujours des tourments. Quel vilain monstre d’homme et que c’est bête de vous aimer comme je le fais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 27-28
Transcription de Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le 8 mai 1842, sur la ligne allant de Versailles à Paris Montparnasse, un accident ferroviaire survenu à la hauteur de Meudon fit cinquante-cinq morts (officiellement) et plus de cent cinquante blessés.

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