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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 mars 1853

Jersey, 29 mars 1853, mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour mon ineffable adoré, je fais de mon gribouillis ce qu’on fait de la vie : courte et bonne. Celui-ci, pour être exigu, n’en sera que plus bourré de tendresse et d’amour comme dans une malle bien faite dans laquelle il n’y a aucun vide. Les événements sont si rares pour moi ici qu’il me serait bien impossible d’en faire le sujet de mes élucubrations. J’en suis donc réduite à mon seul amour, ce qui est trop pour un si petit espace, ce qui n’est pas assez pour combler les lacunes de mon imagination. J’ai beau faire, je ne trouve pas moyen d’arriver juste sur mon papier PROCUSTE [1] et toujours mon esprit s’y trouve trop court et mon amour trop grand. Mais je ne pousse pas le culte de la régularité jusqu’à tirer sur l’un et à couper dans l’autre. Je les laisse tels qu’ils sont tous les deux et je vous les donne comme ils sont. Faites-en tout ce que vous pourrez et même tout ce que vous voudrez, je vous le permets et même je vous en prie. En attendant tâchez de ne pas trop travailler et surtout, mon pauvre adoré, de ne pas te fatiguer jusqu’à souffrir du cœur. Et puis pense à moi, aime-moi et apporte-moi tous tes portraits [2].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 317-318
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain


Jersey, 29 mars [1853], mardi midi

Tant que je ne t’ai pas vu, mon bien-aimé, il ne fait pas jour dans mon cœur ; la lumière du bon Dieu remplita mes yeux, ton amour est le rayon de mon âme. Aussi, je suis triste au-dedans de moi et j’attends avec impatience que tu m’apportes la vraie clarté, le bonheur. Cependant, mon pauvre adoré, je ne veux pas que tu prives ton jeune Victor [3] de son cher modèle [4], surtout si je dois profiter de toutes ces précieuses copies-là. Je te prie de venir dès que tu le pourras, te laissant jugeb du moment oùc tu peux venir. Pour abréger le temps je vais raccommoderd mes zardes, ce qui n’est pas très amusant, même dans une île. Et puis je ne sais pas de quoi je pourrais m’amuser et être heureuse en dehors de toi, puisque rien ne m’intéresse que toi. Aussi je ne sais pas pourquoi je me plaindrais de ma solitude que tout l’univers ne pourrait pas peupler et que ta présence remplita de joie et de bonheur. Viens quand tu pourras, mon Victor, tu me trouveras toujours toute prête à te recevoir avec amour et avec reconnaissance. Pense à moi de loin pour que mon âme ne se sente pas seule et puis laisse-moi t’adorer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 319-320
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « rempli ».
b) « juges »
c) « ou »
d) « racommoder ».


Jersey, 29 mars [1853], mardi soir, 9 h.

Oh ! Moi aussi, mon cher petit homme, j’ai des aventures ou plutôt des cancans et des rôdeuses de police autour de moi. Un de ces soirs j’espère bien avoir aussi mon somnambule et mon fou. En attendant je me contente de la femme grise de la Pomme d’Or [5]. Il paraît que cette dame aurait cherché à louer dans la maison de la colline, celle qui nous fait envie, et sea serait recommandée de toi et de moi, disant que nous étions sesb meilleurs amis. D’autre part, elle serait allée dimanche à Montauban Cottage [6] voir des appartements s’appuyant de la connaissance du colonel Thalyc puis, chemin faisant, elle aurait demandé mon nom à la propriétaire qui, ne le sachant pas, l’a adressée à sa mère, laquelle, par un hasard de mémoire, ne s’en souvenait pas. Ce que voyant, la dame aurait essayé d’entrer chez moi sous prétexte de voir l’appartement et de se rendre compte pour celui qu’elle voulait arrêter, à quoi la vieille femme ne s’est pas prêtée, à ce qu’elle dit, car elle est assez bête pour donner dans le panneau d’une moucharde ou d’une voleuse et probablement les deux à la fois, bien qu’elle se prétende victime politique. Elle attend une jeune dame de ses amies qui demeura avec elle. Ceci concerne plus particulièrement les pigeons réfugiés. Aussi, je vous en donne avis, ne fût-ced que pour vous dispenser de [illis.] toutes les plumes que ces femellese ne manqueront pas de vous arracher. Ceci dit de bon cœur et de grande sollicitude, je vous aime comme plusieurs chiens et je vous mordrai encore davantage si vous faites mine d’en regarder seulement une autre que moi. Tel est mon style.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 321-322
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
[Blewer]

a) « ce ».
b) « ces ».
c) « Thally »
d) « fusse-ce »
e) « femmelles ».

Notes

[1Procuste : « surnom d’un brigand fabuleux […] Installé sur la route près de Mégare, il arrêtait les voyageurs et les forçait à s’allonger sur un de ses deux lits de dimensions différentes : les grands sur le petit, les petits sur le grand ; il coupait les pieds des grands et il tirait les membres des petits. », Alain Rey (dir.), Le petit Robert des noms propres, 1995, p. 1687.

[2Référence à l’atelier de photographie de Jersey (cf. lettre du 25 mars 1853, vendredi matin, 8 h – note 1).

[4Référence à l’atelier de photographie de Jersey.

[5Hôtel à Saint-Hélier où la famille Hugo a séjourné avant d’emménager à Marine-Terrace.

[6Montauban Cottage : à élucider.

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