Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1853 > Mars > 20

20 mars 1853

Jersey, 20 mars 1853, dimanche matin, 9 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour de la bouche, des yeux, du cœur et de l’âme, bonjour. Mains froides, chaudes amours dit le proverbe ; à ce compte-là le mien doit être fameusement rissolé en dedans car j’ai une fière onglée au-dehors. Cela n’empêche pas le soleil de montrer le bout de son nez et de faire des coquetteries dans le ciel, le lâche, au lieu de s’accoupler tout bonnement avec Mlle FLORE et de faire des enfants légitimes à ZÉPHIR qui ne demanderait pas mieux, suivant l’usage, que d’être aidé dans sa besogne matrimoniale par le premier PHÉBUS [1] venu. Fichtre, je m’aperçois que je m’enfonce un peu trop avant dans l’Olympe, je me dépêche de me sauver à toutes jambesa et de rentrer dans le monde chrétien. Et, à ce propos, je vous dirai que je suis presque triste de n’avoir pas un rameau béni cette année [2]. C’est de la superstition peut-être, mais je n’ai jamais prétendu à l’esprit fort. Aussi, cette petite infraction à la tradition me contrarie-t-elle un peu. Je ne veux pas pousser trop loin ce regret dont le bon Dieu me tiendra compte en supposant vraiment qu’il attache une vertu protectrice pour ceux qui possèdentb ce petit morceau de buis béni. En attendant je me confie à lui et à toi et je l’adore à travers mon amour pour toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 281-282
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « toute jambe »
b) « possède ».


Jersey, 20 mars 1853, dimanche après-midi, 2 h. ½

Je suis contente que vous fassiez un bon dîner et que vous vous amusiez, mon cher petit homme, si c’est en tout bien tout honneur ; mais, si vous en abusiez pour me tromper, vous mériteriez de ne manger que du chicotin tout le reste de votre vie et de ne vous abreuver que de LA POISON. Mais je veux vous croire honnête homme, ne fût-cea que pour engager davantage votre probité par tant de confiance. Mangez, buvez, riez, soyez heureux, je vous le permets et je ne vous demande en échange qu’un peu de votre cœur et un petit morceau de promenade tantôt. Vous voyez que je ne vous demande pas tout à fait la part du lion et que je sais me contenter de peu, voime, voime. Cependant ce n’est pas faute d’appétit et si je pouvais vous manger tout cru, je n’y manquerais pas, quitte à laisser ensuite le reste aux autres. Malheureusement vous ne vous prêtez pas à ce genre de goinfrerie, ce qui me force à manger mon pain à la fumée de Mme Téléki et de ses turbots fantastiques sans compter la sauce. Mais telle est ma grandeur, que loin de m’y opposer, je vous y conduirai moi-même et que je reviendrai toute seule comme une pauvre Pontote [3] dressée à ces manières-là. En attendant je ne vois pas trop pourquoi vous restezb chez vous toute la journée, à moins que ce ne soit pour me donner le temps d’écrire cette stupide élucubration.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 283-284
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « fusse-ce »
b) « reste »

Notes

[1Phébus est le personnage de jeune premier de Notre-Dame de Paris.

[2Dimanche des Rameaux.

[3Ponto est le nom du chien, un épagneul noir, adopté par le clan Hugo à Marine Terrace. Victor Hugo lui dédie un poème des Contemplations (V, XI) qui débute ainsi : « Je dis à mon chien noir Viens, Ponto, viens-nous-en ! ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne