29 août 1870

Bruxelles, 29 août [18]70, mardi matin, 9 h.

Je t’envoie mon bonjour doublé de ma bonne nuit mon cher bien-aimé, avec l’espoir que les tiens ne leurs seront pas inférieurs. Il est probable que tu es déjà en great flirt[ation ?] avec miss Jeanne et en conférence politique transcendante avec le citoyen Georges, ce qui est un double attrait en même temps qu’une compensation à toutes les choses lugubres qui se passent en ce moment-ci en France quand j’y pense je n’ai plus envie de rire. Hélas ! quelles seront les nouvelles aujourd’hui et où coucherons-nous demain ? That is the question dont Dieu seul a la réponse. En attendant qu’elle nous soit transmise je tâche de mettre en ordre mes affaires le plus vite possible. Tantôt j’irai essayer mes robes, ce matin je raccommode mon linge pour le donner à la blanchisseuse. Suzanne m’a priée de lui servir de secrétaire aujourd’hui en écrivant à sa famille dont elle est très tourmentée à cause de la proximité du feu de son village. C’est ce que je ferai dès que j’aurai déjeûné. Le temps lui-même n’est pas trop gai et il fait déjà assez froid. Mais tout cela n’est rien si tu m’aimes et si notre pauvre pays peut enfin reprendre la corde et donner une dernière et suprême danse aux Prussiens. Jusque là j’ai le cœur serré et je t’aime de tous les amours à la fois. Je t’adore.

MV-MVH, Villequier, Inv. n° 1959.19.1
Transcription de Marie-Jean Mazurier