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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 décembre [1839], lundi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon cher petit bien-aimé. Comment vas-tu ce matin ? Quant à moi si tu me voyais, je te ferais peur : outre que j’ai passé ma nuit blanche, ou à peu près, j’ai eu des maux d’estomac terribles. Je souffre encore à présent, aussi je ne prendrai rien qu’un peu de café tout à l’heure. Voici un bien beau temps mais c’est non avenu pour moi et je ne sortirai pas plus aujourd’hui qu’hier, qu’avant-hier et que les autres jours. Je ne grogne pas car je sais que tu as trente-six mille affaires dont la plus petite occuperait toute la vie d’un homme ordinaire, mais enfin je souffre et je te vois très peu, voilà ce qui est sûr et ce que je ne peux pas m’empêcher de te dire. Je ne sais pas ce que ça veut dire, j’ai encore mis mes deux bas à l’envers ce matin ; hier c’était ma chemise. Tous ces pronostics annoncent un ou plusieurs cadeaux ou des affronts, ce qui ne se ressemble pas. Dans tous les cas, je vais prendre les devants auprès de mon marchand de vin pour les affronts, en lui écrivant que je ne pourrais plus lui prendre de vin s’il continue à m’en fournir comme le dernier qui n’était pas buvable. En même temps, j’écrirai à M. Dabat pour te faire faire des bottes et lui dire que je garde les brodequins parce qu’ils me vont bien. Je les ai essayés tout à l’heure. Baise-moi, mon Toto. Pense à moi, mon petit bien-aimé et tâche au moins de venir me voir très tôt. Le blanchisseur payé et l’argent de la dépense de demain donné, il me reste 4 francs. Je t’aime, mon bon petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 165-166
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse


16 décembre [1839], lundi soir, 5 h. ½

Tu as bien fait, mon adoré, de revenir après les choses tristes qui venaient d’avoir lieu entre nous. Si tu n’étais pas revenu j’aurais été triste et au désespoir toute la soirée. Merci, mon Toto bien-aimé, merci mon amour, tu avais l’air bien affairé, mon cher bijou, quand tu es monté pour la première fois, et j’ai cru entrevoir que la lettre de Guiraud n’y étaita pas étrangère et que tu y répondais. Au reste, je n’ai pas vu grand-chose car j’étais trop en fureur contre vous pour distinguer quoi que ce soit. Si tu savais combien je t’aime et combien je te suis fidèle, mon adoré, tu ne serais pas si soupçonneux. Le soupçon, c’est une injure qui me révolte toujours parce [que] ça me prouve que tu ne crois ni à ma probité ni à mon amour. La jalousie, c’est autre chose, on peut être jaloux d’une figure, d’une personne, parce qu’enfin si sûr qu’on soit de sa supériorité on peut craindre qu’une bête ou qu’un monstre obtienne la préférence sur soi. Mais la jalousie, je le répète, n’est pas le soupçon de toutes les heures, de toutes les minutes, de toutes les actions et de plus que ça encore, car tu soupçonnes le vide, l’inaction, rien. Enfin, je fais une grande différence entre la jalousie et le soupçon. Je sens bien qu’il y a une différence du tout au tout entre ma jalousie et la tienne et cependant je t’aime plus que tu ne m’aimes, tu ne peux pas dire le contraire. Conviens-en et je te pardonne tous tes trines et je t’adore et je baise tes chers petits pieds. Quel bonheur, j’aurai mon armoire, quel bonheur !!!!!!!!!!!c Vous ne serez pas académicien mais vous serez toujours mon cher petit amant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 167-168
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « étais ».
b) « soupconne ».
c) Les onze points d’exclamation courent jusqu’à la fin de la ligne.

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