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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 novembre [1839], samedi, midi ¼

Bonjour, mon petit bien-aimé. Bonjour, mon Toto. Je me suis levée bien tard, mon adoré, mais c’est pas tout à fait ma faute car je me suis endormie tard. Vous n’étiez pas très gentil cette nuit et il ne s’en fallait pas de l’épaisseur d’un cheveu que vous ne fussiez de mauvaise humeur. Moi, j’avais le cœur sur les lèvres mais il s’en faut de beaucoup que mon amour soit attractif. Plus je suis expansive, plus tu es contenu, plus je suis passionnée et plus tu es froid et préoccupéa. Aussi il arrive que mon cœur se retire en lui-même comme un colimaçon et qu’il est quelque fois difficile de lui faire montrer ses cornes, mais à qui la faute ? Je ne veux cependant pas insister davantage car au milieu de ta GLACE, tu es bon, doux et ravissant comme un pauvre ange que tu es et tu fais des dessins merveilleux d’invention et D’EXECUTION. Baisez-moi je ne ris pas. Il fait bien beau aujourd’hui, est-ce que vous ne me ferez pas un peu sortir ? J’en ai pourtant besoin mais si tu ne le peux pas je me résignerai. Je sais que tu as beaucoup d’affaires, mon bien-aimé, et je ne t’en veux pas de ne pouvoir pas me faire sortir. Aime-moi, c’est tout ce que J’EXIGE de toi mais par exemple je l’exige absolument et sans la moindre concession. Baisez-moi, mon Toto. J’espère que vous allez encadrer mon chef-d’œuvre de cette nuit ? D’abord ne vous attendez pas à ce que je vous en fasse d’autresb de cette taille-là. Je veux VIVRE, moi, et je sens que ce n’est pas en faisant des MIRACLES tous les jours qu’on devient centenaire. Ainsi, tenez-vous-le pour dit et conservez dans du COTON le fameux dessin de cette nuit. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 81-82
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « préocupé ».
b) « d’autre ».


23 novembre [1839], samedi soir, 5 h. ¼

Je ne te vois pas, mon adoré. Je sais bien que tu travailles, que tu es en proie aux visiteurs, aux solliciteurs et aux importuns de toutes sortes, mais c’est égal, il me semble que tu pourrais faire quelques actes d’apparitions qui me feraient prendre en patience ton éternelle absence. Je suis triste, triste. Toujours seule. Toujours là accroupie au coin de mon feu. En vérité, c’est tuant ; les jours, les nuits se suivent et se ressemblent pour moi à quelques rares exceptions près qui ne font que mieux ressortir l’isolement et l’esclavage dans lequel je vis. Enfin, il faut en prendre mon parti et tâcher de ne pas t’ennuyera par des plaintes quotidiennes et inutiles. J’ai vu l’ouvrier de Jourdain tantôt. Il venait poser les panaches et m’apporter les embrases des croisées de la salle à manger. Il a trouvé ma besogne très bonne et incritiquable. Du reste quand on me fait demander ce qu’il faut faire du grand tapis de ma chambre, je lui ai dit, provisoirement, d’en faire un mobile pour la salle à manger. Le plus grand qu’il pourra en faisant sauter tout ce qui est trop mauvais. Maintenant, si tu n’approuves pas ce projet, tu n’auras qu’à le dire. En attendant je t’aime et je continue à me tourner les pouces comme une pauvre Cendrillon abandonnée et oubliée que je suis. Il a fait bien beau aujourd’hui. Il est vrai que le beau temps, l’air, le ciel et le jour n’existentb pas pour moi. Jour papa. Je t’aime. Je t’attends.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 83-84
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « t’ennuier ».
b) « n’existe ».

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