Guernesey 16 avril [18]70, samedi soir, 5 h.
Ne me demande pas, mon cher bien-aimé, comment il se fait que, levée à six heures ce matin, je ne commence mon gribouillis que maintenant parce que je ne pourrais pas te le dire avec certitude. Tout ce que je sais c’est que je t’adore et que je n’ai de joie et de bonheur qu’en toi. Tout le reste n’est que fatigue, agacement et indifférence. Depuis que Gore vient travailler le matin je suis forcée de me tenir à distance de son travail tant pour l’odeur de térébenthinea que pour mon laisser-aller de toilette qui consiste ordinairement en une chemise peignoir. Puis encore c’est aujourd’hui samedi, c’est-à-dire dépense sur dépense embêtement sur embêtement et je n’ai plus le sou. Je NE pourrais même plus ajouter l’appoint au mois de Suzanne quand bien même tu me donnerais ta fameuse LIVRE guernesiaise. Telle est ma situation financière mais je m’en fiche pourvu que je t’aime et que tu m’aimes je suis riche, riche, RICHE.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 107
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette
a) « thérébentine ».