Guernesey, 10 avril [18]70, dimanche matin, 6 h. ½
Je t’envoie mon bonjour le plus tendre en échange de ta nuit, quelle qu’elle soit. J’espère pourtant qu’elle ne me laisse rien à désirer, c’est bien le moins, mon pauvre grand adoré, que tu aies ton contingent de repos après tes journées si remplies de chefs d’œuvres et de bonnes actions [1].
Tu vois que si je refuse les nouvelles connaissances j’accueille de mon mieux les anciennes, du moins j’en ai le désir. Mme Duverdier est une honnête et douce FEMME, jusque dans son âge apparent, qui ne varie pas, qui la rend sympathique aux hommes comme aux femmes. Son mari paraissait assez soucieux hier de recouvrer sa correspondance avec le pauvre KESLER. Peut-être a-t-il quelques raisons pour cela. Il me semble résolu à s’en aller mardi matin. Si tu trouves qu’il est de bonne hospitalité d’essayer de les retenir encore quelques jours je le ferai avec cordialité et empressement, même pour les deux jeunes Nicolle, personnages muets. Enfin je ferai ce qu’il te plaira cette fois comme toutes les autres. J’ai un mal de tête qui ne laisse rien à désirer. Je l’attribue à cette espèce de Jean qui pleure et Jean qui rit, pluie et soleil. Comme il faut toujours accuser quelqu’un ou quelque chose du mal qu’on a, j’aime autant mettre le mien sur le compte du temps qui a bon dos et mon amour plein ton cœur s’il est assez grand pour le contenir.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 101
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette